Rouge, Pascaline Nolot #PLIB2021

Couverture Rouge

« Ce qu’il vit avant tout, c’était l’immonde coloris écarlate qui rongeait à moitié le nouveau-né ainsi que l’infâme petite boule de peau surplombant son regard. Le monstre avait engendré un autre monstre !
– Comment devons-nous l’appeler ? lui demanda la vieille femme.
Il contempla le nourrisson en pleurs avec aversion. Puis il vomit sa sentence en un mot :
– Rouge ! »

Accroché au versant du mont Gris et cerné par Bois-Sombre se trouve Malombre, hameau battu par les vents et la complainte des loups. C’est là que survit Rouge, rejetée à cause d’une particularité physique. Rares sont ceux qui, comme le père François, éprouvent de la compassion à son égard. Car on raconte qu’il ne faut en aucun cas toucher la jeune fille sous peine de finir comme elle : marqué par le Mal.
Lorsque survient son premier sang, les villageois sont soulagés de la voir partir, conformément au pacte maudit qui pèse sur eux. Comme tant d’autres jeunes filles de Malombre avant elle, celle que tous surnomment la Cramoisie doit s’engager dans les bois afin d’y rejoindre l’inquiétante Grand-Mère. Est-ce son salut ou un sort pire que la mort qui attend Rouge ? Nul ne s’en préoccupe et nul ne le sait, car aucune bannie n’est jamais revenue…

Gulf stream éditeur (28 mai 2020) – 320 pages – 17€ (papier) – 10,99€ (ebook)
#ISBN9782354887858

AVIS

Rouge est une interprétation très libre du Petit Chaperon Rouge, un conte qui a subi différentes variantes. Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’autrice se tourne bien plus vers les origines sombres du conte que vers la version épurée et enfantine que nous connaissons tous. Elle reprend ainsi les grands éléments de l’histoire, en exploite la symbolique première avec un talent qui force l’admiration, avant de se les approprier et de les relier à des thématiques encore, hélas, très actuelles.

Une héroïne malmenée dans un village maudit où la laideur n’est pas là où on le pense… 

Alors si avec Rouge, ce sont les paillettes et l’amusement que vous recherchez, vous serez décontenancés, mais pas forcément déçus. Car malgré la dureté des thématiques abordées, le roman se lit tout seul sans jamais nous faire sombrer dans le désespoir. Cela tient au talent de l’autrice qui arrive à trouver un savant équilibre entre dureté, délicatesse, sensibilité et noirceur. À l’inverse de certains romans dans lesquels les drames sont empilés pour créer une émotion qui ne vient jamais, ici, tout ce que vit notre héroïne, Rouge, s’insère dans une trame complexe et parfaitement pensée qui, sous couvert de fiction, met les lecteurs face à la laideur humaine. Et je ne parle pas de cette laideur physique qui sert d’excuse à des villageois pour harceler, persécuter, malmener, violenter, haïr et ostraciser notre héroïne, déjà de toute manière condamnée par sa naissance. Non, j’évoque cette laideur tapie dans les cœurs noircis et dénués de compassion de ces hommes et femmes qui déversent leur bile sur une âme innocente. 

On ne peut que s’offusquer et se demander pourquoi Rouge mériterait d’être maltraitée quand elle ne fait de mal à personne et qu’elle subit affronts et injures de villageois malveillants et cruels ? Mais enfermés dans la superstition, qui se confond ici avec la religion, ceux-ci ne doutent guère de leurs bons droits. Après tout, la mère de Rouge n’a-t-elle pas copulé avec le diable, enfantant une progéniture démoniaque marquée physiquement par le sceau du Malin ? Et puis, Rouge ne doit-elle pas payer pour sa mère responsable, selon eux, d’une terrible malédiction : les jeunes filles du hameau doivent ainsi être envoyées à la Grand-Mère quelques jours après leur premier sang, sous peine de terribles représailles.

Le sort que les villageois réservent à Rouge, autant par esprit de vengeance que par pure malveillance et peur de la différence, est difficile à supporter, mais la jeune fille affronte la situation avec beaucoup de courage et d’aplomb. Alors que sa mère, haïe par tous, est morte en couches, et que son supposé père refuse de la reconnaître, Rouge ne se lamente jamais. Elle trouve simplement quelques moments de joie et de bonheur auprès de son meilleur ami Liénor, dont la beauté lui permet quelques libertés, là où la laideur de Rouge la contraint à la soumission et la contrition.

Des personnages intéressants et des révélations permettant d’aborder des thématiques fortes… 

Liénor est un personnage qui se révèle intéressant à plusieurs niveaux, notamment par son envie de protéger Rouge tout en contentant une mère hyper protectrice et étouffante. Une tâche ardue et quelque peu irréalisable qui suscitera une certaine incompréhension, voire un jugement peut-être un peu trop lapidaire de la part de Rouge. À travers ce meilleur ami, un peu un négatif de Rouge, l’autrice évoque, entre autres, l’amitié, le courage et la lâcheté, des notions simples en apparence, mais parfois plus compliquées qu’il n’y paraît. Si j’ai, en outre, été surprise par une révélation le concernant, j’avoue néanmoins une certaine frustration quant à ce personnage qui ne me semble pas avoir exprimé son plein potentiel.

Heureusement, aucune frustration pour Rouge qui est un personnage d’une remarquable complexité, dont l’évolution au fil des pages est réelle et probante. Entre la vie dans son hameau, bien que le terme de survie serait plus pertinent, son départ de Malombre pour l’antre de la Grand-Mère, et sa nouvelle existence avec son lot de découvertes, Rouge va connaître bien des tourments et des épreuves. Elle réalisera dans la douleur que beauté et bonté ne sont guère liées, et que la superstition est bien souvent l’excuse parfaite pour s’exonérer de ses propres péchés. À cet égard, j’ai été particulièrement écœurée par une révélation que Rouge espérait depuis longtemps, mais qu’elle n’était pas prête à affronter. Peut-on d’ailleurs l’être un jour ? À force d’être élevée dans cette idée, elle craignait d’être fille du Malin quand elle va se découvrir fille d’un monstre, mais sans corne ni queue fourchue celui-là.

À travers son roman, l’autrice évoque tout un panel de sujets forts : la malveillance, la méchanceté, la cruauté même, mais aussi la pédophilie, le danger des apparences et des faux-semblants, l’acceptation de soi, la manipulation, la trahison, la superstition dans ce qu’elle a de plus délétère, l’hypocrisie religieuse, le tabou et tout le folklore autour des règles, le viol… Je fuis en général cette dernière thématique, mais j’ai trouvé que l’autrice l’abordait avec beaucoup d’intelligence. Elle dénonce, avec force et sans concession, cette tendance odieuse et méprisable consistant à condamner la victime et à justifier le bourreau… Révoltant, mais tellement réaliste, on y voit également le processus poussant un violeur à se dédouaner de son acte pour mieux se considérer comme la vraie et seule victime.

Un roman sombre, mais pourtant captivant, alternant entre présent et passé…

Certaines scènes sont dures à vivre, bien que toujours justifiées par le contexte, et l’on peut parfois avoir l’impression que chaque parcelle de lumière est mouchée avant même qu’elle n’ait eu le temps d’éclairer le visage à moitié rougi de notre héroïne. Pourtant, on se retrouve captivé par le roman, désirant en apprendre plus sur les petits secrets et grands mensonges/illusions des villageois, sur Rouge et cette mère qu’elle n’a jamais connue et qui a fini par sombrer dans la folie…

Son histoire personnelle et familiale dramatique rend la jeune fille très attachante et touchante, d’autant qu’elle possède une vraie aura de combattante. Contrairement à d’autres contes où l’héroïne attend le prince charmant, ici le prince est un couard, et l’héroïne prête à affronter les choses, quitte à devoir souffrir et réaliser que sa vie est basée sur des mensonges. Il y a quelque chose de féministe dans ce conte où les seules personnes qui se démarquent du lot, sont finalement deux femmes, Rouge et la Grand-Mère. Dans une moindre mesure, même la mère de Rouge se révèle plus forte qu’il n’y paraît : son esprit a été brisé par une terrible épreuve, mais elle aura un soubresaut d’amour pour cet enfant tant désiré, mais obtenu dans la souffrance et la mort, et un dernier élan de haine pour le responsable de ses malheurs.

Au-delà du personnage fascinant de Rouge, on alterne avec curiosité et plaisir entre le passé et le présent grâce à des flash-back nous permettant d’entrer dans la tête de différents personnages. On écoute comme un enfant l’histoire de la Grand-Mère, un conte dans un conte offrant de nouveau une réflexion sur la beauté et l’asservissement qu’elle peut engendrer pour ceux qui finissent par exister seulement à travers son prisme. Car l’on peut autant souffrir d’être fort beau que fort laid, comme le découvrira Rouge, avant de peut-être commencer à apprendre à s’accepter. On se prend, tout comme notre héroïne, d’affection pour un loup qui renverse les codes du conte original, et qui se montre bien plus humain que la plupart des hommes du roman, tous ou presque mauvais, perfides, lâches et cruels.

Une écriture poétique et imagée qui s’adapte à merveille à l’ambiance des contes…

Quant à l’écriture de l’autrice, elle m’a complètement séduite. Elle dégage tour à tour force et sensibilité, douceur et cruauté, le tout enrobé d’expressions, d’images et de mots qui nous plongent en un instant dans l’ambiance si particulière des contes d’antan. L’autrice a un vrai don pour les mots et possède cette capacité à nous immerger dans l’esprit des protagonistes, même les plus poisseux. Mais ce qui m’a le plus surprise, c’est la manière dont elle arrive à développer une intrigue sombre qui heurte notre humanité, et à exposer des drames qui s’insinuent dans notre esprit et notre chair, tout en rendant son roman très facile et rapide à lire. Un paradoxe à l’image d’une plume qui joue avec maestria sur les faux-semblants pour nous envoyer en pleine face la laideur qui peut parfois se cacher sous la beauté la plus parfaite, et la magnificence derrière la supposée laideur.


En conclusion, en lisant mon avis, vous devez certainement vous dire que le roman est dur et implacable. Et il serait difficile de le nier, Il est cependant tellement plus que cela. C’est une réécriture intelligente, sombre, complexe et originale d’un célèbre conte, qui offre une multitude de réflexions autour de thèmes variés comme la cruauté humaine, le danger et le piège des apparences et des faux-semblants, les mensonges, la trahison, la superstition et les croyances qui emprisonnent, le viol, l’acceptation de soi… Mais là où l’autrice brille, c’est par la construction de son héroïne et la manière dont elle arrive à nous faire vivre de l’intérieur son évolution et les différents stades émotionnels qu’elle traverse, et ceci, sans jamais tomber dans le pathos. Forçant notre respect et notre admiration par sa résilience, son humanité et son courage, Rouge n’a pas besoin de lumière dans sa vie, même si elle ne ferme pas sa porte aux sentiments ; elle est sa propre lumière. Et c’est peut-être ce message-là qui me permet de classer Rouge parmi les contes qui apportent un réel message d’espoir sur la force de l’esprit, et la possibilité de trouver sa propre liberté même dans l’adversité.

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54 réflexions sur “Rouge, Pascaline Nolot #PLIB2021

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  2. Très très belle chronique ! Effectivement, la laideur de certains hommes fait peur à voir dans ce roman coup de poing. Rouge est une héroine marquante ! Autant que son ambiance. Le portrait que tu brosses d’elle est comme je l’ai ressenti. Bravo pour cette belle chronique passionnante ! J’espère qu’elle donnera envie à d’autres lecteurs de découvrir ce sombre roman aux sujets sensibles et inattendus !

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    • Merci beaucoup ❤ Cette lecture m'a tellement ébranlée que j'avais peur de ne pas être très claire…
      J'espère également que mon avis et tous ceux des membres du jury donneront envie de se lancer dans cette lecture intense et marquante de par son héroïne, son ambiance et les thématiques abordées…

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  4. Tu as merveilleusement parlé de ce roman et ses thématiques, très denses, aussi dures qu’intimistes ! Ca a été une merveille à la lecture entre le style si travaillé et gothique de l’auteur, les renversements de situation, la réécriture des contes. Et le roman a une véritable aura prenante, oppressante, qui fait qu’on n’a aucune envie de s’arrêter ! J’espère que l’autrice nous livrera d’autres perles dans ce style à l’avenir.

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