Gris comme le coeur des indifférents, Pascaline Nolot

Couverture Gris comme le coeur des indifférents

Je remercie Babelio et les éditions Scineo de m’avoir envoyé Gris comme le coeur des indifférents de Pascaline Nolot en échange de mon avis.

Un roman bouleversant, à propos des violences faites aux femmes.
La veille, Lyra, quinze ans, a entendu son père frapper sa mère. Pour les deux femmes, hélas, il s’agissait d’un jour ordinaire.Ou presque.Aujourd’hui, il n’y a plus de coups, plus de cris.Ensemble, elles attendent dans un long couloir d’hôpital.Les pensées de l’adolescente s’emballent, elle ne cesse de songer aux jours précédents…
Un roman bouleversant qui ne vous laissera pas indifférent.

Scrineo (2 mars 2023) – 14,90€ – 99 pages 
Couverture : Hélène Druvert

AVIS

Un roman ! Un seul roman, Rouge, a suffi pour que Pascaline Nolot devienne l’une de ces autrices dont je suis prête à lire toutes les nouvelles parutions. Alors quand Babelio m’a proposé de découvrir Gris comme le coeur des indifférents, je n’ai pas hésité un instant d’autant que son thème de fond, les violences faites aux femmes, est important.

« Hier, Papa a frappé maman. » Un début et une fin en soi, car on le sait, la société ferme bien souvent les yeux devant ces violences domestiques qui brisent des foyers, si ce ne sont pas littéralement des vies. Celles de femmes qui subissent le joug d’un homme tyrannique et violent, que ce soit verbalement et/ou physiquement. Alors ce court, mais percutant roman, leur offre un moyen d’exister, nous dévoilant, à travers le regard d’une adolescente, le calvaire d’une femme faisant écho à celui de bien d’autres

Lyra, quinze ans, attend dans le couloir dépersonnalisé d’un hôpital avec sa mère, cette mère dont l’affection se ressent dans chaque geste délicat et mesuré. Son père a frappé sa mère, mais elle ne veut pas de la pitié des uns, quand il aurait plutôt fallu la (ré)action des autres. Au fil des minutes, qui s’égrènent dans une temporalité propre à ceux qui ont vécu des drames, Lyra se souvient. Elle se souvient des quelques jours heureux vécus avec son père, mais principalement de la souffrance insufflée par ce bourreau, qui s’est constitué un double aux yeux de la société. Héros pour ceux qui ne le connaissent pas vraiment, monstre pour les siens. Un monstre dont les accès et les excès de colère dictent la conduite de toute la famille, et brisent jour après jour sa femme qui tient debout malgré tout.

D’une plume subtile, l’autrice déconstruit toutes ces petites phrases assassines que l’on entend dans les conversations, et qui sont tout autant de coups portés à des femmes qui en ont déjà beaucoup trop à encaisser. Non, une femme battue n’est pas une femme faible ; non, une femme battue ne le mérite pas même si elle reste avec son bourreau, d’autant qu’il n’est pas si simple de partir ; et non, une femme battue ne l’a pas cherché, jamais ! Des vérités assénées sans violence, la vie de Lyra en étant de toute manière déjà bien trop pourvue. Cette adolescente nous touche, nous heurte et nous émeut : alors qu’elle devrait être à l’âge de l’insouciance et de la construction de soi, elle nous apparaît d’une maturité incroyable.

De celle que l’on acquiert par instinct de survie et de protection… D’ailleurs, Lyra protège de son mieux ses deux petits frères, leur épargnant au maximum les scènes de violence devenues ordinaires chez eux. Et puis, elle soigne et panse les blessures physiques et morales d’une mère qui encaisse pour que ses enfants n’aient jamais à le faire. Il y a beaucoup d’amour chez Lyra pour sa mère, mais il y a aussi de la colère, avant que ne vienne la frapper une certaine prise de conscience sur cette mère d’une force incroyable, dernier rempart devant une mer déchainée.

À cet égard, la fin m’a retournée car je l’espérais autre, mais surtout parce qu’elle nous renvoie à une réalité teintée de gris. Teintée de gris comme le coeur de tous ces indifférents qui savent ou qui devinent, mais qui préfèrent se terrer dans une ignorance feinte ou pire, blâmer la victime au lieu de l’aider à fuir son bourreau. Une indifférence, qui devient une autre forme de violence, a fortiori quand elle émane de l’entourage, à l’instar de cette mère qui ne lèvera pas le moindre petit doigt pour sa fille ou ses petits-enfants… Heureusement, il y a parfois des mains tendues, permettant à Lyra d’espérer un jour apprendre à faire confiance au genre masculin, car si tous les hommes ne sont pas violents, difficile ne pas se méfier quand votre premier modèle est un puits sans fond de noirceur, de manipulation et de brutalité.

Ce thème des violences faites aux femmes est difficile, certes, mais il est important d’en parler surtout quand c’est fait avec une telle dose d’humanité. L’écriture de Pascaline Nolot exprime beaucoup mais avec pudeur à l’image de sa narratrice, une jeune fille qui s’interroge, se souvient et raconte avant d’apprendre à se raconter. Alors que l’autrice s’efface au profit de Lyra, on ressent pourtant sa grande empathie, ce qui apporte beaucoup de force à ce récit unique, mais encore trop courant par le drame qu’il dénonce…

En conclusion, Gris comme le coeur des indifférents de Pascaline Nolot évoque sans pathos, mais avec une force incroyable et beaucoup de réalisme, les violences faites aux femmes. Un thème difficile, mais hélas encore d’actualité, que l’on aborde à travers le regard d’une adolescente touchante, victime collatérale de la violence de son père envers sa mère. Court, mais percutant et émouvant, un récit qui rappelle l’importance de ne pas rester indifférent devant le pire, que la violence n’est jamais de la faute de la victime et que l’oublier, c’est doublement la condamner !

32 réflexions sur “Gris comme le coeur des indifférents, Pascaline Nolot

  1. C’est fou, j’ai commencé la journée avec un post Instagram sur les féminicides et maintenant je lis ta chronique… Entre deux, j’ai écrit un long billet sur les violences psychologiques que j’ai encaissées depuis toute petite… mais je ne sais pas encore si je le publierai. En tout cas, forcément, ce roman m’interpelle, et ton avis me donne envie de le lire. Merci ❤

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    • Il y a parfois des hasards porteurs de sens…
      J’espère qu’écrire le billet, qu’il soit publié ou non, t’a apporté un peu d’apaisement.
      Je suis ravie que mon avis t’ait donné envie de découvrir ce roman poignant qui, je le pense, devrait te toucher.

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    • Le titre possède à lui une puissance incroyable, un peu à l’image de tous ces mots choisis avec soin par l’autrice. Le thème est difficile mais la plume de l’autrice le rend vraiment abordable alors si un jour, tu te sens prête, j’espère que le roman croisera ta route.

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  2. Je me suis rendue compte il y a quelques jours que, même si je n’ai pas encore lu Rouge, j’avais déjà lu un roman de cette auteure il y a quelques années. C’était « Sur l’écorchure de tes mots » aux éditions du Chat noir (je crois que tu aimes bien cette maison d’éditions) et je l’avais beaucoup apprécié, le trouvant doux et touchant. Je pense que tu l’apprécierai aussi. ☺️
    Pour en revenir à celui-ci, rien que la phrase « Hier, Papa a frappé maman. » est terriblement parlante… Vivre ce roman à travers les yeux de cette jeune fille, lire la violence dont est victime cette famille. J’ai des frissons, rien qu’en lisant ta chronique. Merci Audrey, pour cette découverte, pour ce beau retour.

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    • Je ne connaissais pas du tout Sur l’écorchure de tes mots mais après lecture du résumé, je l’ajoute à ma wish list.
      Je t’avoue que les frissons m’ont également parcourue en imaginant tout ce qu’a vécu la mère de Lyra mais aussi cette jeune fille et ses deux frères… Si jeunes et si durement touchés par la laideur humaine !
      Merci à toi pour ton commentaire qui m’a touchée.

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      • Contente d’avoir pu te donner une nouvelle idée lecture, je n’avais pas fait le lien avec Rouge plus tôt, c’est en fouillant dans ma liseuse que j’ai vu qu’il s’agissait de la même auteure, bien que dans un autre genre littéraire. 🙂
        La lecture a dû être intense avec un tel thème, et c’est bien d’avoir des livres qui dénoncent ces actes de bas étages mais aussi l’inaction des gens alentours.
        Ne me remercie pas Audrey, c’est toi qui nous offre de belles critiques tout en émotions, merci à toi. 🙂

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  3. Rien que le titre est très fort je trouve. Je ne sais pas si j’aurai la force de le lire, l’histoire de Lyra ayant l’air proche de mon vécu (même si c’était mon beau-père, et même si c’est triste à dire, c’est déjà une différence heureuse). Je suis contente de voir que ce genre de livres existe en littérature jeunesse, avec un point de vue parfois oublié. Un thème dur mais qu’il est nécessaire d’aborder, pour expliquer, mais aussi pour montrer que non, on n’est pas seul. Pour l’anecdote, je me sentais très seule ado à cause de l' »ambiance » à la maison… c’est un tabou, on croit être la seule à vivre ça, et quand on grandit et qu’on s’informe, on est tellement loin du compte malheureusement.

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    • Je trouve aussi le titre fort et comme toi, je trouve important que ce genre de livre existe en littérature jeunesse.
      Je suis désolée pour ce que tu as vécu avec ton beau-père… J’ai grandi dans un climat de violence permanente et je te rejoins, on est beaucoup dans ce cas, même si les situations varient d’une personne à l’autre.

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