Bien-Aimée, Aurélie Tramier

Couverture Bien Aimée, femme, musicien

Je remercie Aurélie Tramier et les éditions Marabout (collection : La belle étoile) pour m’avoir permis de découvrir Bien-Aimée en échange de mon avis.

RÉSUMÉ : Le soleil giflait le ciel trop bleu et griffait la tuilerie orange. Hans cligna des yeux, ces couleurs l’agressaient. Un éclair l’éblouit : Les Milles… Elisa… Aix-en-Provence, c’était juste à côté. Où était-elle ? Il ne fallait pas la revoir. Il se retourna une dernière fois vers l’entrée du camp et vit sa liberté si chèrement acquise disparaître derrière les grillages.  » Esther reçoit des mains de son père une curieuse montre au dos de laquelle est gravé un nom inconnu : Hans W.
Un mois plus tard, en visitant le camp des Milles, elle aperçoit, sur une photo, la même montre au poignet d’une déportée. Bouleversée, Esther se promet de découvrir qui est cette femme. Camp des Milles, mai 1940. Aix-en-Provence, mai 2022. Une plongée dans un épisode sombre et méconnu du passé franco-allemand. Une histoire d’amour brisé, de musique et de guerre.

Quand Aurélie Tramier m’a proposé son nouveau roman, je ne pouvais qu’accepter ayant étant profondément émue par Peindre la pluie en couleurs et touchée par La flamme et le papillon. Il faut dire que sa plume possède cette dose de sensibilité et de délicatesse qui permet de parler du tragique avec humanité et justesse. Une qualité qui sera précieuse dans Bien-Aimée, l’autrice déployant avec force des destins pris dans la tourmente qu’elle soit de la guerre, d’une mémoire qui se désagrège ou d’une vie personnelle partie en lambeaux…

Pour ce faire, elle nous fait alterner entre deux époques : les débuts de la Seconde Guerre mondiale et l’année 2022. Deux temporalités reliées par une montre… Quel est le lien entre la montre d’Esther que lui a offerte son père, et celle présente au poignet d’une déportée sur une photo découverte lors de sa visite, avec son fils, au camp des Milles ? Une question qui va plonger Esther dans une enquête exacerbant ses émotions déjà à fleur de peau, et la conduire progressivement dans une quête de vérité dont elle n’aurait jamais pu anticiper l’ampleur ni le résultat.

Les lecteurs, ayant le privilège d’avoir les informations du présent et du passé, devinent rapidement la révélation, ce qui leur permet de se concentrer sur les étapes amenant les personnages à (re)découvrir un secret bien enfoui. Au fil de leurs découvertes, les émotions des personnages deviennent nôtres même si l’on ne comprend pas toujours leurs réactions, chacun réagissant différemment devant l’indicible, entre silence reconstructeur et volonté de déterrer le passé pour vivre pleinement le présent. Avec subtilité, Aurélie Tramier pousse les lecteurs à s’interroger et, chose peut-être encore plus importante, à accepter sans juger ses personnages.

Parmi ceux-ci, Esther est une femme qui m’a interpellée. En effet, sa tempête intérieure ne peut que nous saisir, cette dernière vivant très mal le départ de son mari pour une autre femme. Son enquête autour de sa montre, sur les traces du passé, lui offre une sorte d’exutoire grâce auquel elle transforme des sentiments négatifs difficiles à juguler en une force motrice l’aidant à avancer. Elle pourra compter sur l’aide de fils qui se prend également d’intérêt pour son enquête, ce qui leur permettra d’ailleurs de se rapprocher. Un fils dont j’ai apprécié le portrait réaliste, cet ado étant mature mais pouvant aussi se comporter comme un garçon de son âge dont les parents viennent de se séparer.

En plus de ces derniers et du père d’Esther qui reste finalement assez en retrait, ou du moins qui ne prend pas tout de suite conscience de l’importance de la montre familiale qu’il a transmise à sa fille, il y a Aimée. Cette grand-mère souffrant d’Alzheimer m’a profondément émue et touchée, d’autant quAurélie Tramier lui donne parfois la voix. Une voix confuse et peu sereine, mais une voix qu’il est important d’entendre, a fortiori quand l’on réalise qu’Aimée, tout au long de sa vie, ne s’est jamais vraiment exprimée sur l’essentiel et sur ce qui aurait permis de la comprendre. Un peu comme si certaines choses faisaient parfois moins de mal à être gardées pour soi, à moins que ce ne soit une illusion qui permette de rester debout, mais qui éloigne ceux qui auraient pu vous soutenir…

De manière générale, j’ai été impressionnée par le travail de l’autrice sur ses personnages, tous d’une grande justesse et nuance. Cela leur confère une aura de réalisme, parfaite pour exacerber la beauté des âmes pures et accentuer encore plus la laideur intérieure de certains. Cette laideur, on la découvre énormément dans les parties se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale et ses prémices, qui nous dévoilent le visage de la haine, de l’opportunisme et de l’aigreur. Sans pathos ni entrer dans le sordide, l’autrice déroule le fil de l’histoire, retranscrivant, entre autres, la vie dans le camp des Milles entre conditions de détention déplorables et tensions, mais aussi moments culturels et musicaux vibrant de vie et d’émotions. Mais bientôt, les conséquences de la défaite de la France s’imposent aux prisonniers, et aux autres personnes menacées par le nazisme, dans toute leur horreur !

J’ai, pour ma part, eu peur pour Hans, musicien de haut vol interné au camp des Milles, pris dans les tourments de ses sentiments, de sa culpabilité et d’un indigne enfermement. Mais j’ai encore plus été effrayée pour Elisa, sa belle-sœur. Elle fera de son mieux pour lui ouvrir les yeux sur cette histoire qu’il s’interdit de vivre, tout en gardant les siens obstinément fermés sur le sort que la France risque de lui réserver à elle et à son enfant. Je n’en dirai pas plus sur ces personnages, si ce n’est qu’ils m’ont habitée tout au long de ma lecture, et qu’ils continueront probablement à le faire longtemps, très longtemps. Un sentiment qui englobe tout le roman, car s’il s’agit d’une fiction, il évoque un contexte historique lui bien réel…

Heureusement, l’autrice n’occulte pas ces grands puits de lumière apportés par des hommes et des femmes qui ont lutté contre l’oppression et la haine, mettant leur vie en danger pour protéger ceux qui en avaient besoin. Une protection contre l’envahisseur mais aussi contre une administration française parfois complaisante, voire très entreprenante. Entre la résistance courageuse et la coopération proactive, d’autres profils se dessinent, l’autrice ne tombant jamais dans le piège du manichéisme et offrant un portrait fidèle d’une humanité qui s’est perdue en chemin. Un portrait d’autant plus fidèle que l’on sent qu‘elle a fait un grand travail de recherche pour retranscrire au mieux cet intransigeant et difficile cadre historique. Alors que je pensais connaître le sujet, je reconnais avoir appris des choses, notamment sur le camps des Milles dont je n’avais jamais entendu parler, et sur le travail des associations dans le sauvetage des enfants durant la Seconde Guerre mondiale.

Le sort des familles brisées par ce conflit est d’ailleurs évoqué avec beaucoup de sensibilité à travers l’histoire d’une famille ayant souffert de bien des manières de la tendance des Hommes à s’entretuer. Cette famille, c’est aussi le symbole d’un rendez-vous manqué, d’une passion interdite, d’un amour éclos malgré l’adversité, et dont la conclusion tragique porte néanmoins en elle la beauté de la vie. La vie qui survit malgré tout et en dépit du pire. Une vie protégée par le plus lourd et le plus beau des sacrifices, de ceux qui fait pleurer, l’autrice nous faisant ressentir son poids ardent et déchirant ! Il est difficile de s’imaginer que des familles ont vécu de telles choses, mais il est nécessaire de le rappeler pour ne jamais oublier et ne jamais recommencer. Un devoir de mémoire auquel ce roman apporte sa contribution…

En conclusion, Bien-Aimée est un magnifique roman qui nous fait alterner entre les débuts de la Seconde Guerre mondiale et le présent, liant ces deux périodes avec intelligence et une humanité caractéristique de la plume tout en douceur et délicatesse d’Aurélie Tramier. Quand certains moments sont difficiles et la peur pour les personnages tenace, elle nous prend par la main pour nous permettre de suivre presque en apnée des événements qui s’inscrivent dans un contexte historique difficile qu’il convient de ne jamais oublier. Conditions de vie déplorables dans les camps, haine, nazisme, trahison, délation, culpabilité du survivant, amour impossible, secrets… Les thèmes ne sont pas simples, mais ils sont narrés avec une justesse permettant de les accueillir sans finir le cœur en miettes, d’autant qu’ils n’occultent en rien une humanité qui, même au cœur de l’enfer, ne s’est jamais éteinte. Des étincelles de courage et d’amour qui viennent mettre du baume au cœur et nous prouver que l’Homme est capable du pire mais aussi du meilleur. Un roman porté par des personnages forts qui mêle avec brio passé et présent, haine et bonté, le tout porté par une plume délicate et tout en nuance.

42 réflexions sur “Bien-Aimée, Aurélie Tramier

  1. Oh oh ! tu me tentes et tu me donnes très envie de découvrir cette auteure que je ne connais pas !

                               Ph

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  2. Merci pour la découverte d’une autrice que je ne connaissais pas du tout mais qui vaut visiblement la peine d’être connue ! Cette histoire de montre est intrigante et il semble que le roman développe une perspective très juste sur cette période terrible dont la mémoire doit, plus que jamais, être entretenue.

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  3. ça semble assez classique dans le format et j’ai déjà lu récemment au moins 2 romans traitant de ce sujet de cette façon, du coup je ne pense pas me diriger vers celui-ci. Mais je me rappellerai de ton avis si jamais j’ai de nouveau envie de lire quelque chose de ce genre 😉

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  4. Le voyage entre ces deux époques a dû être touchant. Les sentiments d’Esther ont l’air d’offrir une belle part d’émotions a l’historie, ainsi que l’évolution de la relation avec son fils. Apparemment, ta lecture a été forte, merci pour cette belle chronique.

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  5. Le camp des Milles me rappelle l’excellent livre d’Arianne Bois Ce pays qu’on appelle Vivre qui m’avait profondément émue. La vie dans le camp, les fresques, les wagons, … Je ne sais pas si tu connais ce livres.

    Et je me dis en lisant ta chronique, que je repartirai volontiers dans ce lieu maintenant ouvert au public, pour peut-être découvrir des choses qui me sont inconnues.

    Surtout que l’alternance passé présent et la présence de cette grand-mère doit donner une sensibilité supplémentaire à ce roman.

    Et plus personnellement, ma mère porte le doux prénom de Marie-Aimée qu’on appelle aussi Bien-Aimée, alors tu comprendras que ça me donne une raison de plus de découvrir ce livre.

    Merci pour ton partage.

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    • Je me pencherai dessus. Merci pour la découverte !

      La visite doit être dure mais à faire si on le peut….

      Tu as entièrement raison pour l’alternance et cette grand-mère touchante. Quant à la coïncidence du prénom/surnom, c’est une belle raison de te lancer 🙂

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