Topographie de la terreur, Régis Descott

Topographie de la terreur par Descott

Je remercie les éditions de l’Archipel de m’avoir envoyé Topographie de la terreur de Régis Descott en échange de mon avis.

Berlin, 1943. Après Stalingrad, Hitler a décrété la guerre totale. Gerhard Lenz, commissaire à la Kripo, tente d’organiser la clandestinité de Flora, la jeune Juive qui attend un enfant de lui, quand un psychiatre, membre du NSDAP, est assassiné.
L’enquête sera pour lui l’occasion de découvrir l’ampleur du programme d’euthanasie de masse, dit Aktion T4, et le rôle joué par les médecins nazis. Dans une ville au bord de l’abîme, Topographie de la terreur raconte le combat d’un homme seul face à l’hydre totalitaire.

L’Archipel (19 janvier 2023) – 300 pages – 21€ (broché)

AVIS

Si plus jeune, j’ai pu dévorer les livres évoquant la Seconde Guerre mondiale, actuellement, ce n’est plus un sujet qui me passionne. Mais la sobriété de la couverture, qui arrive à faire simple mais glaçant à la fois, et le résumé m’ont donné envie de laisser une chance à ce polar mêlant fiction et réalité, qui nous plonge en plein coeur du système nazi.

Un système tentaculaire qui, comme nous le rappelle fort bien l’auteur, arrive à s’insérer dans toutes les sphères de la vie qu’elle soit publique, privée ou professionnelle. Tout est fait pour embrigader les jeunes dès leur plus tendre enfance et effrayer les adultes afin de les conditionner à obéir sans se rebeller, sous peine de condamner leurs proches à un triste sort suivant la règle du Sippenhaft. Un moyen simple et efficace de s’assurer de la docilité du plus grand nombre !

Au fil des pages, on (re)découvre les différents organes répressifs du Reich dans ce Berlin dominé par une idéologie qui écrase tout sur son passage, les Juifs bien sûr, mais aussi les homosexuels, les déficients mentaux, les personnes handicapées... L’auteur ne nous apprend rien de nouveau, mais il nous permet de réaliser de l’intérieur la machine à broyer que fut le nazisme, et le climat de terreur avec lequel les Allemands ont dû composer. Cela ne veut pas dire que certains ne partageaient pas l’idéologie de leur leader, prêts à dénoncer voisins, famille et amis par conviction et non par peur, mais on comprend comment la politique d’Hitler a réussi à museler tout sentiment de révolte chez beaucoup. Mais pas chez tout le monde heureusement ! 

Nous suivons ainsi Gerhard Lenz, commissaire à la KriPo à Berlin, qui ne partage nullement les idées de son employeur. Il faut dire qu’épris d’une Juive, il ne peut qu’être terrifié par le terrible danger que le nazisme fait porter sur celle-ci, mais également sur leur enfant à naître. Il va donc tout faire pour les protéger, quitte à risquer sa carrière, sa vie et celle de sa mère chez qui il cache Flora, puis leur bébé. En parallèle d’une vie personnelle compliquée, Gerhard va devoir résoudre le meurtre d’un psychiatre membre du NSDAP, tout en devant faire face à la pression de ses supérieurs et la suspicion d’un collègue rêvant de destituer de son trône ce commissaire décoré.

Dans cette enquête, Gerhard sera secondé par un jeune formaté par les jeunesses hitlériennes, mais que l’on sent différent des autres membres de la KripPo. Bien plus humain que ces derniers, il sera, comme son collègue et les lecteurs, révolté par les terribles et ignobles réalités mises à jour par leur enquête. La relation entre les deux m’a beaucoup plu, notre commissaire essayant subtilement de détourner son collègue du système pour l’en affranchir, en veillant néanmoins à ne jamais franchir la ligne rouge. Du moins, pas avant d’être certain de pouvoir le faire… Cette relation de mentor/élève apporte une certaine tension, car dans cette Allemagne en proie au pire, on ne sait jamais vraiment d’où peut venir le coup fatal.

L’enquête sur la mort du psychiatre est intéressante en soi, chaque pièce se mettant petit à petit en place jusqu’à une fin que j’avais anticipée, mais qui devrait surprendre un certain nombre de lecteurs. Mais l’intérêt du roman réside, du moins pour moi, ailleurs. Il y a bien sûr la manière dont l’enquête permet de mettre à jour toute l’horreur du nazisme avec ses programmes de meurtres à grande échelle, et son cynisme allant jusqu’à faire payer la famille des victimes le coût des exécutions. Mais j’ai surtout apprécié que Régis Descott nous propose le portrait de personnes, dont notre commissaire et son frère, qui vont réussir à dépasser le stade primaire de la peur pour se rebeller et lutter, à leur niveau et avec leurs moyens, contre un système totalitaire et meurtrier.

J’ai regretté que les deux frères ne travaillent pas main dans la main, chacun gardant ses secrets, mais j’ai aimé que l’auteur nous fasse ressentir la force des initiatives individuelles et des actes de résistance civile, deux choses qu’il arrive finement à décortiquer. Devant la tension croissante et cette impression d’étau qui se ressert de toutes parts, j’ai souvent tremblé pour nos personnages, ayant parfois envie qu’ils prennent moins de risques pour rester en sécurité, mais j’ai également compris qu’à un certain stade, ne pas agir revenait à consentir. Or consentir, Gherard en est incapable, comme il est de plus en plus incapable de jouer la farce du policier décoré et fidèle à Hitler… Le personnage n’est pas parfait, mais on ne peut que louer son courage et la manière dont il va en venir, comme son frère, à refuser les compromissions.

En plus d’une enquête qui nous conduit au coeur des horreurs commises par les médecins nazis, et de personnages construits avec soin, j’ai apprécié le côté très immersif du récit, Régis Descott jouant la carte du réalisme et de l’authenticité. Ainsi, plus on avance dans la lecture, plus on a l’impression de connaître personnellement le visage de ce Berlin, redessiné d’abord par les nazis, puis par les Alliés et leurs bombardements qui rythment la vie des Berlinois. Ce souci d’authenticité historique se retrouve dans le choix des personnages : les protagonistes que l’on suit sont inventés, les autres personnages ont réellement existé. J’ai ainsi retrouvé des personnes que je connaissais pour leurs innommables méfaits, mais j’ai également découvert d’autres figures historiques, comme cette femme qui n’a pas hésité à dénoncer et piéger des personnes de sa communauté. Certes, pour protéger ses parents, mais cela n’en laisse pas moins ses actes impardonnables…

Ce mélange fiction/ réalité donne une tout autre envergure à une histoire que j’ai dévorée de la première à la dernière ligne. D’ailleurs, malgré les événements évoqués, le roman ne sombre pas dans la noirceur et reste très accessible, l’auteur arrivant à utiliser un vocabulaire précis afin de nous immerger complètement dans le contexte historique et sociétal, tout en faisant preuve d’une certaine agilité dans son phrasé. Il en résulte un roman très facile et rapide à lire.

En  conclusion, Topographie de la terreur plaira autant aux personnes appréciant les récits se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale qu’aux personnes recherchant une enquête rondement menée dans un contexte historique particulier, qui ajoute une tension certaine à une enquête qui n’en manque déjà pas. Entre peur constante, lâcheté collective et courage individuel, un polar qui évoque le pire sans jamais tomber dans le pathos, grâce à une plume authentique qui joue sur la peur tout en éveillant en chacun l’envie de se révolter. Un rappel brutal à une réalité pas si lointaine en même temps qu’un récit évoquant la capacité de chacun à résister…

47 réflexions sur “Topographie de la terreur, Régis Descott

  1. Comme toi, j’ai beaucoup lu de récits évoquant la Seconde guerre mondiale il y a quelques années mais ce n’est plus un sujet qui m’attire immédiatement aujourd’hui, cependant ton avis m’intrigue beaucoup, je garde donc le titre de ce roman dans un coin de ma tête pour le découvrir à l’occasion.

    Aimé par 1 personne

  2. Je ne suis pas vraiment intéressée par les romans autour du nazisme mais mélanger polar et cette époque est intéressant. Le fait que l’on suive un gradé qui doit cacher ses convictions est intéressant. Surtout quand vient la tentation avec son nouveau collègue de persuader au moins une personne de ne pas prendre part à cette boucherie.

    Aimé par 1 personne

  3. Pingback: C’est le 1er, je balance tout ! janvier 2023 | Light & Smell

  4. Pingback: C’est le 1er, version février 2023 | Un Coup de Foudre

  5. Pingback: [Bilan] Cold Winter Challenge 2022 | Light & Smell

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.