Le rôle de la guêpe, Colin Winnette

Je remercie les éditions Denoël pour m’avoir permis de découvrir Le rôle de la guêpe de Colin Winnette.

PRÉSENTATION ÉDITEUR

Un nouvel élève vient d’arriver à l’orphelinat, un établissement isolé aux mœurs aussi inquiétantes qu’inhabituelles. Il entend des murmures effrayants la nuit, et ses camarades se révèlent violents et hostiles. Quant au directeur, il lui souffle des messages cryptiques et accusateurs. Seul et rejeté par ses pairs, le nouveau tente de survivre à l’intérieur de cette société inhospitalière.
Une rumeur court parmi les pensionnaires, selon laquelle un fantôme hanterait les lieux et tuerait une personne par an. Tous les ans, les garçons se réunissent, sous l’impulsion de quelques anciens, pour démasquer celui d’entre eux qu’ils pensent être le fantôme… et l’éliminer!
Simple mascarade potache ou mise en scène sordide pour justifier les meurtres rituels? Cette année, le prétendu fantôme a été clairement désigné : c’est le petit nouveau. Pour une simple et bonne raison, on ne l’a jamais vu saigner, et les guêpes, très nombreuses dans cette bâtisse, ne le piquent pas. La chasse aux sorcières peut commencer.

  • Broché: 208 pages
  • Editeur : Denoël (13 septembre 2018)
  • Collection : Sueurs froides
  • Traduction : Robinson Lebeaupin
  • Prix : 20€
  • Autre format : ebook (14,99€)

AVIS

Si j’ai eu envie de m’attarder sur ce roman, c’est d’abord en raison, ou à cause, de sa couverture que je trouve aussi dérangeante que fascinante. Cette guêpe à l’orée d’un œil à la beauté glaçante ne peut qu’attirer l’attention tout en donnant envie de fuir loin, très loin. On peut donc dire que cette couverture annonce dès le début au lecteur l’ambivalence des sentiments que ce roman ne manquera pas de faire naître chez lui. Car le résumé, qui me semble d’ailleurs quelque peu éloigné de ce que vous trouverez dans le livre, ne vous prépare pas vraiment à la tournure que vont prendre les événements. Je m’étais ainsi attendue à une vague histoire de persécution dans une ambiance teintée de fantastique quand j’ai découvert bien plus que cela.

L’auteur va bien plus loin dans le glauque, l’horreur et le bizarre. À travers un narrateur à la froideur déstabilisante, il vous propose une histoire abordant des thèmes difficiles : la persécution, la malveillance, la violence individuelle et collective, la force des croyances, la recherche d’un sentiment d’appartenance et ses dérives… Mais ce qui met vraiment mal à l’aise, ce ne sont pas ces thèmes courants, notamment dans les romans noirs, mais le fait qu’ils soient abordés du point de vue d’adolescents. Dans l’imaginaire collectif, l’enfance est liée à l’innocence, mais ici enfance et adolescence sont placées sous le signe de la malveillance et de la méchanceté. Nous découvrons ainsi un orphelin placé dans un orphelinat aux mœurs plutôt hostiles. Asocial et assez égocentrique, il n’arrivera pas vraiment à s’intégrer à ses « frères »… Mais la situation prend une tournure encore plus délicate quand des meurtres sont commis au sein de l’orphelinat.

À la fois accusateur et accusé, notre protagoniste se met à soupçonner tout le monde, à commencer par ce directeur qui lui semble tour à tour sympathique puis manipulateur. Mais qu’en est-il vraiment ? Ami ou ennemi dont il faut venir à bout avant qu’il ne ligue les autres orphelins contre lui ? Le doute s’installe, l’ambiance devient étouffante et poisseuse, les tensions croissent, les rancœurs s’installent, la peur s’immisce dans l’orphelinat en même temps que s’accumulent les disparitions… Et puis il y a ces rumeurs d’une présence spectrale qui laissent sceptique notre narrateur, mais qui ne manqueront pas de semer le doute et l’effroi dans l’esprit des lecteurs. La frontière entre réalité et monde fantasmagorique semble donc mouvante entre les mains de l’auteur qui, tel un metteur en scène, construit patiemment un décor horrifique prompt à enfermer votre imagination dans des scénarios plus angoissants les uns que les autres.

La tension monte crescendo, bien que l’auteur ménage régulièrement des pauses à travers les considérations presque philosophiques de notre orphelin, et c’est avec horreur que le lecteur assiste à un pseudo procès de cet orphelin bouc émissaire qui passe auprès de ses pairs de potentiel meurtrier à fantôme qu’il convient de faire disparaître. À travers une mise en scène à la fois éloquente et grotesque, l’auteur nous convainc du poids du groupe en tant qu’entité et des exactions qu’un faux sentiment, entre autres, de camaraderie peut faire commettre à chacun. Une dilution des responsabilités inhérente aux groupes qui peut mener au pire des chaos et aux actions les plus condamnables que ce soit ici, ou dans la vraie vie d’ailleurs.

La malveillance de certains jeunes protagonistes met donc fortement mal à l’aise car elle est dépeinte avec détachement et de manière désagréablement réaliste ! Difficile de parler de bons et de méchants dans ce roman puisque même le protagoniste a un comportement des plus ambivalents. Froid et méthodique notamment dans les plans qu’il imagine pour se débarrasser de ses ennemis supposés, il est impossible de le prendre en pitié. L’auteur se délecte d’ailleurs du doute qu’il installe, petit à petit, dans notre tête. Victime d’un système qui l’a privé d’amour ou malade d’une personnalité égocentrique et calculatrice, qu’en est-il vraiment de ce personnage dont on partage les pensées pendant plus de 200 pages ?

Sur ce point, à chacun de tirer ses propres conclusions, mais ce qui est certain, c’est que le doute est roi dans ce récit, ce qui vous met dans un climat permanent de questionnement et de tension. Un procédé efficace pour s’assurer de votre entière attention devant cet enchaînement de faits catastrophiques dont on essaie tant bien que mal de déterminer le fil conducteur. Et pour ce faire, vous n’aurez que les pensées d’un orphelin dont l’ambiguïté n’inspire pas vraiment la confiance et des dialogues dont il est parfois difficile de déterminer la véracité. Ces doutes permanents m’ont parfois frustrée, notamment avec une fin qui n’apportera pas les réponses tant attendues, mais ce sont aussi eux qui m’ont permis de m’immerger totalement dans ce récit aux relents angoissants de films d’horreur.

L’orphelinat en lui-même apporte également cette dimension dramatique qui fait le sel de ce roman. Ce lieu austère, dans lequel les orphelins vivent quasiment en autarcie, semble porter intrinsèquement en lui le terreau du drame. On ne sera donc nullement surpris qu’il soit le théâtre d’événements perturbants. Mais derrière l’horreur d’un récit teinté de fantastique, l’auteur semble aussi dépeindre de manière plus ou moins directe, l’horreur cette fois-ci bien humaine, d’un endroit délaissé par les autorités publiques qui demandent à un homme seul de gérer son établissement avec toujours moins de moyens, mais toujours plus d’orphelins. Si la critique sociétale, une parmi d’autres, est intéressante en soi, elle sert aussi ici parfaitement l’intrigue puisque le manque de ressources ne pourra qu’avoir un impact sur ces orphelins conscients du problème… Avec cynisme, on en vient d’ailleurs à se demander si les meurtres ne sont pas un moyen de régulation comme un autre.

Ce climat malsain dans lequel on évolue passe par les péripéties, bien sûr, mais aussi par le style atypique de l’auteur qui allie froideur et pensées teintées de poésie et de philosophie, un mélange efficace qui garantit une immersion totale dans ce huis clos dont on regrettera seulement de ne pas avoir percé tous les mystères. La plume de l’auteur plaira donc à ceux qui acceptent de ne pas rentrer dans l’émotif, mais dans l’efficacité, la froideur et la complexité derrière une apparente simplicité.

En conclusion, Colin Winnette a su imposer ici son style, un style efficace dont la relative froideur cache des questions non dénuées d’une certaine profondeur. Derrière des situations qui frisent parfois l’absurde, l’auteur semble sonder l’âme humaine dans toute sa noirceur et sa complexité. Il en ressort une histoire qui dérange, met mal à l’aise et laisse le lecteur seul face à ses doutes notamment sur la dimension horrifique du livre. Déstabilisant et fascinant, à l’image de son protagoniste, Le rôle de la guêpe fait partie de ces romans qui ne plairont pas à tout le monde, mais qui ne laisseront aucun lecteur indifférent.

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8 réflexions sur “Le rôle de la guêpe, Colin Winnette

  1. Wow, j’avoue que j’attendais ton avis sur cet ouvrage à la couverture dérangeante. Les thèmes mis en avant sont vraiment très forts. L’idée de proposer un personnage principal à bout, suspicieux et perdu me plait, surtout avec un entourage malveillant aussi trouble que manipulateur. Sans oublier le côté horrifique que tu mets en avant ! Cela m’interpelle pas mal…

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    • Ce livre est tordu, mais addictif. Il y a vraiment un truc dans l’atmosphère instaurée par l’auteur ! Pour le côté horrifique, je pense que pour quelqu’un comme toi qui connaît bien le genre, cela pourra rester peut-être un peu léger. Du coup, j’espère que tu le liras pour que je puisse voir ce que tu en as pensé 🙂

      Aimé par 1 personne

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