L’île des souvenirs, Chrystel Duchamp

Couverture L'île des souvenirs

Je remercie les éditions de l’Archipel de m’avoir envoyé L’île des souvenirs en échange de mon avis et Chrystel Duchamp pour son mot personnalisé qui m’a beaucoup touchée.

Delphine, 22 ans, est étudiante à Lyon. Issue d’une famille bourgeoise, elle tente de s’affranchir de son éducation en écumant bars et boîtes de nuit. Au cours d’une soirée, elle suit une ombre mystérieuse jusqu’à sa voiture…
Quand elle se réveille dans une maison abandonnée, elle est menottée à un radiateur. Bientôt rejointe par une autre prisonnière.
L’enquête confiée à la Crim’ n’avance pas assez vite aux yeux de l’opinion. Sous pression, le capitaine Romain Mandier accepte l’aide d’un profiler et d’une psychotraumatologue.
Qui est cet homme en noir, qui hante les souvenirs confus d’une des captives ? Pourra-t-on exhumer de sa mémoire les fragments qui mèneront au coupable ?
Une fois de plus, Chrystel Duchamp surprend par une intrigue des plus originales, et un épilogue aussi glaçant que retors !

L’Archipel (9 mars 2023) – 20€ – 235 pages

AVIS

Ayant apprécié les trois précédents romans de l’autrice, j’étais plus qu’impatiente de découvrir L’île des souvenirs qui prouve la capacité de l’autrice à se renouveler, histoire après histoire. Je dois d’ailleurs dire qu’elle m’a prise de court avec ce titre qui nous propose une enquête policière digne d’une série américaine avec ses profilers, tout en flirtant parfois avec l’essai. Un mélange des genres étonnant et détonnant qui fonctionne à merveille, d’autant que loin d’être une simple fantaisie de la part de l’esprit machiavélique de l’autrice, il sert un objectif précis que je vous laisserai bien sûr le loisir de découvrir par vous-même.

La construction atypique du roman concourt à sa mise en place rapide et glaçante. Delphine, 22 ans, jeune fille ayant reçu une éducation stricte (archaïque diront les mauvaises langues), profite de sa liberté d’étudiante pour multiplier les fêtes et les coups d’un soir derrière le dos de ses parents fortunés qui financent, sans le savoir, ses excès. Des excès qui cachent son mal-être, la jeune femme n’assumant pas son orientation sexuelle, elle qui, pourtant, se moque de l’opinion des autres dans les autres domaines de sa vie. Cette peur de ce qu’elle ressent pour les femmes la poussera à quitter précipitamment sa première petite amie, qui ne l’entendra pas de cette oreille. Menaces, intimidations, texto à un rythme frénétique… La petite amie quittée perd pied.

Mais ce n’est pas le plus gros souci de Delphine qui, après une soirée durant laquelle elle suivra une inconnue, se réveille attachée à un radiateur ! Faim et soif, humiliation, ennui, panique… Elle va vivre un enfer tout juste allégé par l’arrivée d’une autre prisonnière. Je vous préviens d’emblée, certaines scènes en début de roman sont difficiles à vivre, l’autrice ne nous épargnant rien de la violence de la situation sans jamais, heureusement, tomber dans le gore ou le sensationnalisme. À partir de là, on n’a plus qu’une envie, comprendre ! Comprendre qui a tendu ce piège à Delphine et pourquoi. Comprendre qui est cet homme cagoulé qui lui apporte de quoi à peine survivre et sa motivation pour la traiter ainsi. Comprendre les raisons pour lesquelles les deux prisonnières sont traitées différemment…

Notre esprit s’échauffe en même temps que celui du capitaine en charge de l’enquête, Romain Mandier, sur lequel la pression s’abat sans tarder. Les parents de Delphine ont beaucoup d’argent, des relations et un certain pouvoir de nuisance, d’autant que ses collègues d’un autre service n’ont pas brillé pour enquêter sur la disparition de leur fille. Acculé, le capitaine accepte d’intégrer à son équipe un profiler, inventeur d’un logiciel avant-gardiste basé sur un algorithme prédictif, et une psychotraumatologue. Le premier est censé aider la police à faire un portrait fin du coupable afin de l’arrêter ; la seconde à aider l’une des deux victimes à comprendre ses cauchemars et à déverrouiller sa mémoire, cette dernière souffrant d’une amnésie partielle suite au traumatisme généré par son enlèvement. Passant de la première à la seconde victime puis à chacun de ces trois acteurs d’une enquête plus sombre qu’on pourrait le penser, les lecteurs sont alors captivés par les mécanismes déployés avec intelligence par l’autrice.

Le roman est relativement court, ce qui ne permet pas de s’attacher outre mesure aux personnages, mais cela ne m’a pas empêchée d’apprécier le côté décalé d’un légiste bavard mais brillant dans son travail. On le voit peu mais l’autrice nous en dit assez pour que l’on comprenne que c’est un sacré personnage aux goûts musicaux et à l’humour lourd assumés. Au fil de ma lecture, j’ai également ressenti beaucoup de compassion pour Delphine qui a grandi dans l’opulence, mais le plus grand dénuement affectif, comme j’ai développé une certaine admiration pour la deuxième victime et son courage. J’ai, en outre, pris plaisir à suivre le capitaine qui, malgré un problème personnel qui l’affecte avec sa femme, va faire de son mieux pour faire avancer une enquête non dénuée de zones d’ombre. Contrairement à d’autres, il se montre même prêt à s’ouvrir à des techniques dénigrées en France, voire méprisées !

J’ai beaucoup aimé les passages où l’autrice évoque la psychologue humaine, les techniques de profilage, leur émergence aux USA et le retard de la France dans le domaine. Cela apporte une caution scientifique qui donne un aspect très réaliste au récit, mais qui pourra déplaire à certains lecteurs, ces passages tirant parfois vers l’essai. C’est d’ailleurs cet aspect inattendu qui m’a au début un peu interloquée, ayant l’habitude de plus de spontanéité de la part de l’autrice, avant de complètement me séduire. Chrystel Duchamp arrive à tisser le fil d’une histoire policière qui tient la route et au cadre très visuel, tout en l’intégrant dans un contexte psychologique fort et passionnant. À cet égard, et bien que je sois loin d’être une fan de l’œuvre freudienne, j’ai apprécié les citations introduisant chaque chapitre. Consciemment ou non, elles guident notre lecture, nous poussant à tenter de comprendre de quelle manière elles peuvent éclairer une enquête tortueuse où la monstruosité se cache là où elle est difficile à imaginer.

La révélation finale, que j’avais en partie devinée ayant fini par éliminer la solution moyennement tordue, l’autrice faisant plutôt dans les twists infernaux, pose une question que je trouve intéressante, d’autant que les contours des réponses acceptables sont parfois assez flous. Ici, ce n’est pas le cas, on est juste dans l’horreur froide et implacable absolue qui montre les extrémités dans lesquelles certains sont prêts à tomber pour atteindre leur objectif. Tout simplement révoltant et, finalement assez réaliste….

Au-delà d’une fin qui devrait marquer longtemps l’esprit des lecteurs, ce roman se démarque également par la manière dont il soulève des réflexions fortes et passionnantes autour de la mémoire, des (faux) souvenirs et des traumatismes. On découvre alors que se souvenir ne veut pas toujours dire se rappeler, que sa propre vérité n’est pas toujours, voire presque jamais, l’exact reflet de la réalité, et que si le cerveau humain est une machine incroyable, c’est une machine avec ses propres failles et faiblesses sur lesquelles il suffit de savoir appuyer pour la faire s’enrayer. Et c’est peut-être là, du moins pour moi, le plus glaçant de toute cette histoire !

À noter également, comme un fil conducteur à une œuvre qui, roman après roman, se fait une place dans le coeur des lecteurs, la présence de l’art. Il n’est pas, comme dans l’Art du meurtre au premier rang, mais il est bien présent à travers les références finement amenées et un tableau dont la symbolique sera parfaitement exploitée, et pas forcément de la manière dont vous le pensez. Quant au style d’écriture, il est toujours aussi percutant et entraînant et se renouvelle ici par des passages plus proches de l’essai que du roman, durant lesquels on sent l’incroyable de recherche que l’autrice a effectué en amont. Un sens du détail affirmé qui donne l’impression d’assister aussi bien du côté des victimes que des enquêteurs à la résolution d’une enquête dont toutes les cartes ne seront abattues qu’au dernier acte.

En conclusion, avec L’île des souvenirs, Chrystel Duchamp confirme sa place de premier ordre dans le paysage français du thriller et des enquêtes policières, mais surtout sa capacité à emmener ses lecteurs là où ils ne s’y attendent pas. Un quatrième roman tout aussi puissant que les trois premiers, qui se distingue par sa construction atypique dans laquelle chacun prend naturellement sa place pour jouer sa propre partition, jusqu’à un final explosif qui laisse les lecteurs glacés d’effroi. Virtuose du coup d’éclat, l’autrice signe ici une enquête immersive et passionnante, qui s’appuie avec brio sur les connaissances autour de la mémoire et les techniques de profilage pour le plus grand plaisir de lecteurs ravis de se faire manipuler. Machiavélique et tortueux comme on aime ! 

38 réflexions sur “L’île des souvenirs, Chrystel Duchamp

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