Apprendre à se noyer, Jeremy Robert Johnson

Couverture Apprendre à se noyer

Quelque part dans la jungle somptueuse et inquiétante d’un pays d’Amérique du Sud, un père emmène son fils pêcher, l’autorisant pour la première fois à s’aventurer au milieu d’un fleuve dont les eaux se révèlent aussi dangereuses que généreuses. Ce rite d’initiation va bientôt tourner au cauchemar lorsque le jeune garçon disparaît subitement. À la recherche de son enfant, l’homme débarque sur un rivage hostile, peuplé de tribus, de chamans et de sorcières.

Apprendre à se noyer est un conte initiatique et horrifique, saisissant par sa cruauté autant que par sa poésie et sa délicatesse. Jeremy Robert Johnson nous entraîne dans un voyage apocalyptique et intime qui, par-delà le macabre, offre une fable de toute beauté sur l’amour, la disparition, et la possibilité toujours présente, pour nous autres les vivants, de défier la mort pour lui arracher ce dont elle nous a privés.

AVIS

Une fois ma lecture d’Apprendre à se noyer terminée, je me suis demandé comment j’allais pouvoir vous en parler. Difficile, en effet, de mettre des mots sur cette expérience littéraire étonnante, mélange de cauchemar et d’onirisme, de macabre et de poésie, de brutalité et d’amour. En moins de 150 pages, Jeremy Robert Johnson arrive à proposer une histoire impersonnelle et universelle à la fois. Impersonnelle parce que le cadre géographique est vague, les prénoms occultés et le décor prégnant mais limité. Universelle par ses thématiques : perte, abandon de soi, deuil, culpabilité, vengeance, amour parental et inconditionnel…

Un amour parental qui, une fois soumis à la pire épreuve qu’il puisse exister, conduit notre protagoniste sur un chemin tortueux, empreint de mort, de regrets et de désespoir. Alternant entre pulsions de vie et de mort, l’homme, qui ne sera jamais nommé autrement, tente à sa manière de faire face à l’imaginable… La journée s’annonçait rayonnante sous fond de complicité père/fils, elle finira dans le sang et la douleur. Le fleuve est généreux, mais le fleuve recèle de dangers, comme ce monstre, du moins devenu tel dans l’esprit de l’homme, qui en un coup de mâchoire scelle à tout jamais le destin d’une famille.

Alors que l’enfant a sombré, emporté dans la gueule aux dents acérées, l’esprit de l’homme semble s’égarer vers des contrées inatteignables où il est question de défier la mort, de rives étranges, et d’une sorcière à l’obscure et macabre magie. Le prix de la vengeance est élevé, mais l’homme est prêt à le payer et à trouver, dans ce monstre qu’il tente de défier, la seule manière d’apaiser une âme damnée par le regret, la culpabilité, la douleur et la perte. La perte d’un enfant devenu la lumière de son couple et celle future d’une femme qui ne peut guère vivre sans cette lumière.

Entre réalité et fantasme, le voyage de l’homme se révèle émotionnellement difficile, d’autant que se mêlent à la douleur des scènes horrifiques, où les images s’imprègnent de symbolisme et de mort. Cette mort qu’il réfute dans une lancinante agonie, mais qui n’en demeure pas moins réelle. Une mort, implacable de froideur, qui s’impose à lui et à nous dans un vacarme assourdissant et silencieux à la fois. Une étrange sensation s’empare alors des lecteurs qui luttent pour ne pas se noyer, quand l’homme lutte contre des courants, parfois contraires, pour apprendre à se noyer, et retrouver dans le ventre du monstre la partie de lui-même qui lui a été brutalement arrachée.

Conte initiatique, fable tortueuse, mais surtout désespoir d’un père face à une perte qui lui a fait perdre le sens commun de la réalité, tout en affûtant ses autres sens. Le sentiment d’être à soi, la vue, l’ouïe, le toucher, tout semble exacerbé pour se (re)connecter à une nature écrasante et à des événements et des images qui symbolisent délicatement les différentes étapes d’une difficile acceptation…

Jouant sur la conscience aiguë, primale et viscérale de la perte d’un enfant, l’auteur nous propose ici une échappée macabre et lyrique à la fois dans les limbes de l’obsession d’un père pour réparer ce qui ne peut l’être. Horrifique, brutale et implacable, cette fable se pare néanmoins d’accents de vérité, montrant la beauté là où jamais on n’aurait pu l’imaginer. Une plume tout en poésie pour décrire l’horreur et une horreur servant de miroir aux sentiments les plus purs que rien, ni même les dents les plus acérées ou le noir abyssal de la mort, ne saurait emporter. Apprendre à se noyer porte à merveille son titre, tout en nous rappelant que c’est parfois aussi une manière d’apprendre à résister avant de mieux s’abandonner.

Picabo River Book Club

Je remercie les éditions le Cherche midi et Léa pour cette lecture réalisée dans le cadre du Picabo River Book club.

33 réflexions sur “Apprendre à se noyer, Jeremy Robert Johnson

  1. Ce roman m’intriguait déjà pour son sujet principal mais là j’avoue que le vends encore mieux que j’aurais pu l’imaginer ! Je pense tenter l’expérience à mon tour grâce à toi et à cette phrase : « cette fable se pare néanmoins d’accents de vérité, montrant la beauté là où jamais on n’aurait pu l’imaginer »
    Tu sublimes parfaitement le douloureux passage que peut-être la mort dans certaines situations. Etant soignant en gériatrie, je peux assurer que j’ai vécu de très doux et beaux moments en accompagnant des personnes en fin de vie ainsi que leurs familles.

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    • Merci pour cet adorable commentaire qui me touche beaucoup.
      Ce livre est parfois cruel, mais l’auteur arrive vraiment à y ajouter des pointes de lumière par l’amour de l’homme pour l’enfant. Deux mots impersonnels qui finissent par prendre le visage de tous ces pères et enfants séparés par la mort.
      Je suis toujours admirative du personnel soignant, notamment en gériatre. J’imagine que ces beaux et doux moments que tu évoques te permettent de tenir durant les moments plus difficiles.

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  2. Oh, je l’ai justement repérer en librairie cette semaine ! Il est dans ma liste d’envies du coup 🤭 et ta chronique m’a convaincue ! C’est assez éloigné de mes lectures habituelles mais je suis intrigué par ce côté onirique et ces thèmes forts dont il est question ici. Merci beaucoup pour cette belle chronique 🙂

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  3. Alors autant j’ai beaucoup apprécié la forme et l’écriture (et la mise en page), autant le fond m’a laissée de marbre. C’est beau, oui, terrible aussi, mais ça ne m’a pas touchée.
    En fait, j’ai perdu pied avec la réalité à un moment, et du coup je suis restée très à distance du récit, d’autant que je ne me suis pas identifiée aux personnages, très transparents finalement (pour plein d’excellentes raisons) et que ça se lit super vite.
    Malgré tout, c’est un roman que je recommanderais aussi ! Une expérience à part entière, sans que ce soit non plus trop étouffant ni insupportable à lire, les aspects imaginaires et horrifiques sont très bien dosés, très imagés et oniriques, comme tu le soulignes dans un commentaire.

    J’aime beaucoup ta chronique, beaucoup plus humaine que mon ressenti ! 🙂

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    • Merci d’avoir partagé ton ressenti très différent du mien en ce qui concerne les émotions. Je comprends ton absence d’émotions, l’écriture de l’auteur par son onirisme n’entraînant pas automatiquement un phénomène d’identification. Je crois que ça a marché sur moi car je suis passée outre l’espèce de brume induite par son style pour aller directement dans le cœur de ce père de famille détruit par la perte de son fils…
      Et je trouve génial que malgré ton absence d’émotions, tu recommandes le roman !

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      • Oui, on sent à la lecture de ta chronique que tu as su comprendre, imaginer et te mettre à la place de ce père. Ta chronique est vraiment à l’unisson du texte, elle rend un bel hommage au texte.
        Oui, je recommande ce roman, parce que j’ai trouvé géniale la forme, et aussi parce que je sens bien qu’il y a qqch de fort et d’humain là-dedans, même si je n’arrive pas à y être sensible. Et puis j’ai aimé aussi son originalité, pour un roman en imaginaire (l’est-il vraiment ?) c’est quelque chose de très singulier.

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