Je suis fille de rage, Jean-Laurent Del Socorro #PLIB2020

1861 : la guerre de Sécession commence. À la Maison Blanche, un huis clos oppose Abraham Lincoln à la Mort elle-même. Le président doit mettre un terme au conflit au plus vite, mais aussi à l’esclavage, car la Faucheuse tient le compte de chaque mort qui tombe. Militaires, affranchis, forceurs de blocus, politiciens, comédiens, poètes… Traversez cette épopée pour la liberté aux côtés de ceux qui la vivent, comme autant de portraits de cette Amérique déchirée par la guerre civile.

ACTU SF (11 octobre 2019) – Version collector (23,90€) – Ebook (9,99€)
#ISBN9782366294774

AVIS

Je suis fille de rage me faisait un peu peur pour son côté historique fort prononcé, mais c’était mal connaître Jean-Laurent Del Soccoro qui, d’une plume alerte et vive, réussit pendant plus de 500 pages à nous plonger corps et âme dans une guerre qui s’est pourtant déroulée sur un autre continent et à une autre époque que la nôtre, la guerre de Sécession. Une guerre que je ne connaissais qu’à travers la littérature grâce à des ouvrages comme Autant en emporte le vent auquel l’auteur fait un petit clin d’œil savoureux et plein d’impertinence. Je n’ai jamais eu de fascination particulière pour les États-Unis ni pour les scènes de bataille, mais je dois avouer que je n’ai pas réussi à lâcher ce roman ayant été complètement subjuguée par les enjeux de cette guerre et le destin d’hommes et de femmes, militaires de carrière ou non, embarqués dans un conflit qui va s’enliser puisque la guerre rapide espérée par Lincoln n’aura pas lieu.

Il est d’ailleurs étonnant de voir que malgré une armée bien moins équipée et importante, le Sud résiste et remporte certaines victoires éclatantes sur un adversaire qui avait pourtant le pouvoir de l’écraser. Il faut dire que des deux côtés, une certaine confusion règne que ce soit en raison de dilemmes moraux, certains étant partagés entre famille et patrie, ou de la jeunesse et de l’inexpérience de soldats qui entrent en guerre sans réellement en saisir les réalités, du moins, jusqu’à ce que la mort les fauche. Car la guerre de Sécession, en plus d’avoir été un conflit fratricide, a été un conflit particulièrement sanglant et meurtrier ! Une réalité dont l’auteur nous fait prendre conscience grâce, entre autres, à un personnage inattendu, la Mort en personne, qui s’évertue à marquer symboliquement à la craie chaque personne tuée durant la guerre.

Ce procédé frappe l’esprit des lecteurs en même temps que celui de Lincoln que la Mort semble torturer de sa simple présence puisque face à elle, il n’a pas vraiment d’autre choix que d’affronter les conséquences dramatiques de chacune de ses actions et de réfléchir aux raisons profondes qui l’ont conduit à se lancer dans une guerre civile traumatisante. Les entretiens entre Lincoln et la Mort apportent une pointe de fantastique appréciable, mais nous permettent surtout de voir Lincoln sous un autre jour : pas comme un grand homme se battant pour ses idéaux, mais comme un être humain avec ses propres doutes et un objectif qu’il a encore bien du mal à définir lui-même. Obtus, parfois plus proche du tyran muselant les opposants et la presse que du libérateur, il lui faudra un certain temps avant de comprendre que la demi-mesure quant à l’abolition de l’esclavage ne peut exister !

Si j’ai apprécié le portrait de Lincoln tout en nuances, j’ai également beaucoup aimé suivre la palette variée de personnages proposée par l’auteur qui, contrairement à ce que l’on aurait pu craindre en raison du contexte militaire, veille à assurer une certaine parité. On découvre donc des figures historiques et des êtres de fiction, des militaires gradés ou non, confiants ou pétris de doutes, une jeune Sudiste qui quitte sa famille pour s’engager dans l’armée du Nord autant pour s’opposer à son père que pour lutter afin que plus jamais des hommes, des femmes et des enfants n’aient à porter de chaînes, une esclave affranchie qui va découvrir que liberté ne rime pas avec égalité même chez les Nordistes, une ancienne esclave qui se bat en première ligne pour les siens, un Sudiste fortuné et convaincu de son bon droit de posséder d’autres personnes en raison de leur couleur de peau… Tous les personnages ne revêtent pas la même importance et certains sont attachants quand d’autres se révèlent révoltants, mais à la fin du roman, on a le sentiment de les avoir vraiment connus même si ce n’est qu’un peu et durant une période particulière.

À travers ces nombreux personnages et leurs ressentis, l’auteur donne donc un visage à la guerre. Les soldats et leurs supérieurs ne sont plus des anonymes qui se battent sur un champ de bataille ou donnent des ordres, mais ce sont des hommes et des femmes avec un nom, une famille, un passé, des peurs, des espoirs et des conflits intérieurs. Cela explique probablement la rapidité avec laquelle on se surprend à tourner les pages d’autant que la narration se révèle étonnamment fluide. Je lis peu de romans historiques trouvant que ceux-ci tendent parfois à se révéler fastidieux à décrypter, mais ici, je n’ai pas du tout eu cette sensation, bien au contraire. Il faut dire qu’en plus de proposer un roman choral qui engage indéniablement l’attention et le cœur des lecteurs, l’auteur veille à offrir des chapitres courts qui apportent rythme et dynamisme au récit.

Mais le plus grand atout du roman, du moins pour moi, est la manière dont l’auteur mêle faits historiques romancés et documents historiques traduits par ses soins. Certains esprits chagrins pourraient s’offusquer de la démarche, mais pour ma part, je l’ai trouvée brillante ! Plus qu’avoir traduit des documents, le tour de force de l’auteur est d’avoir su les choisir avec soin afin qu’ils se fondent complètement dans le récit à moins que ce ne soit le récit qui se fonde dans l’Histoire. J’imagine à quel point le travail de recherche, de sélection et de traduction a dû être fastidieux pour qu’on en arrive à un résultat aussi naturel et probant. Sans les repères visuels guidant notre lecture, il m’aurait ainsi bien été difficile de tracer la frontière entre réalité et fiction…

Ce roman m’a donc séduite autant sur le fond que la forme et m’a permis de découvrir les dessous militaires et stratégiques d’une guerre dont j’avais une connaissance bien sommaire et dont on devine qu’elle a, dans une certaine mesure, figé les différences idéologiques entre le Nord et le Sud des États-Unis. Que ce soit grâce à ses talents de narrateur qui lui permettent de nous faire vivre avec beaucoup de réalisme les différentes scènes de bataille ou sa faculté à partager avec nous le destin d’hommes et de femmes qui se livrent à une guerre fratricide, j’ai été absorbée dans ma lecture de la première à la dernière page. Un petit exploit qui me pousse à conseiller ce roman aux amateurs de livres historiques, mais aussi à tous les lecteurs qui désirent en apprendre plus sur la guerre de Sécession auprès d’un auteur qui sait indéniablement rendre vivant le passé. Roman historique teinté de fantastique, Je suis fille de rage ne devrait pas manquer de vous marquer et de vous pousser à vous interroger sur la notion de liberté qui, comme l’actualité tend à la démontrer notamment outre-Atlantique, ne signifie pas forcément égalité…

33 réflexions sur “Je suis fille de rage, Jean-Laurent Del Socorro #PLIB2020

  1. Je partage ton enthousiasme au sujet de ce roman, cet auteur est vraiment excellent pour traiter l’histoire. Je te recommande ses autres romans si tu ne les as pas lu (boudicca et royaume de vent et de colère) que j’ai préféré mais uniquement parce que les sujets me parlent davantage. Perso j’ai voté pour je suis fille de rage d’ailleurs.

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    • J’avais acheté avec mon père Boudicca lors d’une fête du livre, mais je n’avais jamais eu le déclic pour le lire. Après ce roman, je peux te dire que j’ai plus qu’envie de le lire maintenant surtout que je ne connais absolument rien sur ce personnage historique…
      Je ne suis pas trop étonnée de ton vote parce qu’il me semble qu’à part ce roman, tu n’as pas eu trop de chance avec les autres finalistes. Pour ma part, j’hésite parce que pour moi, c’est le meilleur en termes de narration et le plus mature, mais il ne comporte pas assez d’éléments fantastiques pour un finaliste d’un prix de l’imaginaire. Du coup, j’aurais adoré qu’il y ait une catégorie spéciale du style « ami de l’imaginaire » parce que ce roman mérite d’être connu et reconnu.

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      • J’ai hésité avec mers mortes que j’avais bien aimé aussi mais il lui manquait selon moi quelque chose. Par contre oui les 3 autres y’a eu un « sympa sans plus », un abandon et un qui m’a fait sortir de mes gongs xD j’ai pas du tout eu de chance d’ailleurs je ne rempile pas pour l’année prochaine, je ne me sens pas.
        Je comprends ce que tu veux dire oui pour l’aspect fantastique d’autant que tu n’es pas la seule à le souligner mais pour moi à partir du moment où il n’y a ne fut ce qu’un peu de surnaturel ça me va, je ne ressens pas le besoin que ça prenne une plus grande place. Après je suis sûrement un peu de parti pris, je trouve ce texte tellement bon et tellement au dessus… 😅
        J’ai hâte de discuter avec toi de Boudicca 😊

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  2. Je retrouve exactement ce que j’aime de l’auteur dans ta chronique de ce titre, que je n’ai pas encore lu pour ma part alors qu’on me l’a offert à Noël dernier. Il va falloir que je saute le pas bientôt parce que ça a l’air vraiment chouette !

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  3. J’ai beaucoup hésité à me le procurer dernièrement (le porte-monnaie souffre en ce moment, LOL). J’avais lu quelques avis très mitigés qui m’avaient refroidie, et mon expérience sans plus avec « Un royaume de vent et de colères » a pas aidé non plus. Tu fais sacrément pencher la balance de l’autre côté ! Très bel avis 🙂

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    • Je compatis pour ton porte-monnaie, ces derniers temps, il y a tellement de sorties tentantes !
      J’ai également vu des avis mitigés, voire des abandons, mais pour moi, ils étaient plus imputables au fait que les lecteurs n’étaient pas vraiment la cible qu’au roman en lui-même. Si on aime l’Histoire et suivre la vie de personnages empêtrés dans un conflit dévastateur, on a de très fortes chances d’être captivés par la plume de l’auteur…
      Merci pour ton commentaire et ravie que mon avis t’ait offert une perspective plus positive sur le roman 🙂

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  5. Je viens de finir ce livre il y a quelques jours et la lecture de ton billet me donne envie de m’y replonger ^^
    Je suis complètement d’accord avec toi sur l’immensité de la tâche qu’ont dû être les recherches et la mise en forme de ce récit, c’était vraiment une idée brillante et tellement originale! J’avais aimé Royaume de vent et de colères, mais celui-ci est encore bien meilleur! Je suis très curieuse de lire Bouddica, maintenant 🙂

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