J’ai entendu le chant des morts, Jacques Mazeau

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Je remercie les éditions de l’Archipel de m’avoir envoyé un exemplaire papier du roman J’ai entendu le chant des morts de Jacques Mazeau en échange de mon avis.

1996. À la mort de Gabriel, son père, ancien résistant, Pierre met la main sur le journal intime où celui-ci raconte, jour par jour, les événements dont il a été le témoin et l’acteur en août 1944, juste avant la libération de Forcalquier, en Haute-Provence.
Stupeur : il découvre que Jeanne, sa mère, qu’il croyait morte en couches, a été torturée et assassinée par des miliciens, juste après sa naissance.
Qui était vraiment Jeanne ? Qui furent les auteurs de cet acte abominable ? Qui en fut le commanditaire ? Quel rôle joua au juste Abel, le braconnier qui accompagna Gabriel dans sa quête des meurtriers ?
Questions auxquelles les écrits de Gabriel et les lettres de Jeanne, des années plus tard, apportent une réponse : la guerre, hélas, n’enfante pas de héros. Seulement des victimes…

L’Archipel (23 novembre 2023) – 288 pages – 21€

AVIS

Sans la mention suspense sur la couverture, je ne pense pas que je me serais penchée sur ce roman et cela aurait été une erreur, J’ai entendu le chant des morts ayant été une lecture particulièrement marquante. Les débuts se lisent bien, l’auteur possédant une plume agréable et fluide, mais ils ne permettent pas vraiment d’anticiper la sorte de claque émotionnelle que l’on se prend en tournant les pages.

Je suis sortie presque sonnée par cette histoire inventée qui (re)trace des destins sonnant eux très vrais. Car si la France a été endeuillée par la barbarie nazie qui a semé la destruction dans ses villes et villages, elle a également été meurtrie par la trahison d’une partie de sa population. Une partie qui a embrassé la cause nazie et cette haine de l’autre, devenu bouc émissaire et objet déshumanisé à abattre. Face à cette lâcheté et trahison nationale, des hommes et des femmes se sont heureusement organisés, soulevés et ont combattu au péril de leur vie.

Des héros qui ne portent pas de cape à l’instar de Gabriel. Un résistant qui, en cette année 1996, rend son dernier souffle. Mais alors que cette mort aurait pu signer la fin, elle marque étrangement le début pour son fils Pierre. En effet, en mettant la main sur le journal intime de son père, il découvre enfin son histoire et celle de sa mère, qui n’est pas morte en couches comme il l’a toujours cru, mais qui a été assassinée par des miliciens juste après sa naissance. Un choc en même qu’une révélation qui soulève une entêtante question : qui a tué Jeanne ? Pour le découvrir, nous nous plongeons alors aux côtés de Pierre dans le journal intime de son père, dans lequel il a narré sans complaisance aucune sa quête de vérité et son entreprise de vengeance durant ce terrible mois d’août 1944…

Dans ce roman, il est question de vengeance beaucoup, de trahison aussi et d’amour certainement. Un amour qui servira de moteur à Gabriel bien décidé à faire toute la lumière sur la mort de Jeanne. Et pour ce faire, il est prêt à beaucoup, que ce soit à s’allier à Abel, un homme qui semble cacher ses propres secrets, ou à flirter avec les règles de la morale. À cet égard, Jacques Mazeau a fait un travail important sur la psychologie de son protagoniste. Au lieu de nous présenter un électron libre assoiffé de vengeance, il nous propose un homme meurtri dans son âme et sa chair, qui ne tombe pourtant pas dans la barbarie. Oui, il peut tuer mais jamais avec cette cruauté dont ses ennemis ne sont pas avares.

À travers ses actes et son histoire, l’auteur bouscule le lecteur et le conduit inexorablement à s’imaginer à la place de Gabriel. Pour ma part, j’estime que la justice se fait dans un tribunal et pourtant, j’ai compris chaque coup donné et tiré, d’autant que certaines situations reflètent à la perfection l’idée de tuer ou d’être tué. La violence est omniprésente sans être surjouée, elle est simplement intrinsèque au contexte qu’il soit historique ou personnel. Rappelons, en effet, que si Gabriel en tant que résistant a été en guerre contre le nazisme, il est maintenant en guerre contre les lâches qui se sont attaqués à sa femme enceinte. Reste maintenant à découvrir leur identité !

Cette enquête explique à elle seule le mot suspense présent sur la couverture, l’auteur nous emportant dans un jeu de pistes savamment orchestré dans lequel, la bêtise crasse, le déshonneur et la lâcheté seront mis impitoyablement et méthodiquement à jour. On suit presque en apnée Gabriel dans sa quête de vérité, qui le fera redécouvrir sous un autre jour ses amis d’autrefois. Mais la guerre n’a pas créé de monstres, elle s’est contentée de les dévoiler à la face du monde. D’ailleurs, en se remémorant le passé, Gabriel se heurte à certaines paroles qui étaient autant indice de l’esprit gangréné de la plupart de ses amis. La trahison, de celle qui vous marque au fer blanc, est légion, mais il y a aussi heureusement des actes de courage à souligner et une volonté de se battre contre la barbarie à saluer.

Je pense, entre autres, à Abel, personnage assez mystérieux, face auquel il faudra un certain temps à Gabriel pour se positionner. Pour ma part, sa relation symbiotique avec son chien a d’emblée suscité en moi une certaine confiance et sympathie. J’ai aimé la dynamique qui se développe entre les deux hommes même si Abel semble faire quelques cachotteries à son allié. Mais vu le contexte, difficile de lui reprocher tout excès de précaution. À l’inverse, il y a un personnage que j’ai profondément haï, et qui est un peu la quintessence de la médiocrité humaine. J’ai été frustrée que Gabriel semble avoir du mal à voir l’évidence le concernant, mais comment penser au pire quand vous vous raccrochez aux dernières bribes d’une vie perdue à tout jamais ?

Alors que la vérité se dévoile sur la mort de Jeanne, on découvre également sa parole à travers « son livre » dans lequel elle a couché ses pensées tout au long des mois passés sans Gabriel. J’ai apprécié que l’auteur pour conclure son récit donne la parole à la victime, mais une victime qui, par le jeu de son courage et de ses actes de bravoure, se place du côté des héroïnes. Les écrits de Jeanne sont dévastateurs et salutaires à la fois. Dévastateurs car on y sent son espoir d’un meilleur après le pire et sa détermination à se sacrifier, corps et âme, pour son amour, son enfant à venir et la France. Et salutaires à la fois, car Jeanne, en partageant ses derniers mois de vie, permet à Gabriel de tourner une page bien triste de son histoire afin de bâtir une nouvelle vie avec Pierre.

Je dois reconnaître que j’ai été déstabilisée que notre protagoniste cache aussi longtemps à son fils l’histoire de sa mère, mais j’ai accepté de ne pas forcément arriver à comprendre un homme qui a vécu tellement d’horreur et perdu l’amour de sa vie dans d’atroces circonstances. Et puis, Gabriel, en s’arrangeant pour que Pierre ait accès à son journal intime et au livre de Jeanne après sa mort, permet enfin à ce secret de famille d’entrer dans l’histoire familiale, et probablement à Pierre de se rapprocher d’une mère qu’il n’a jamais connue et d’un père qui ne s’est jamais raconté. Un dernier cadeau comme un symbole de transmission et un pudique et pourtant éternel gage d’amour. 

En conclusion, avec J’ai entendu le chant des morts, Jacques Mazeau nous propose un roman fort qui laisse une réelle empreinte dans le coeur des lecteurs. Au cours d’une plongée sans concession dans le passé, nous nous approprions l’histoire tragique de Gabriel, personnage à la psychologie soignée, qui semble animé d’une pulsion de vie vengeresse comme un camouflet à cette mort entêtante fauchant lâchement des vies. De lâcheté, Jeanne, sa femme assassinée des décennies plus tôt, en a été indubitablement victime, ce qui nous soulève le coeur, car dès le début du roman, aucun espoir n’est permis. Jeanne est morte et notre seul moyen, au même titre que Gabriel, de l’accepter et de surmonter son décès, est de découvrir l’identité de ses bourreaux, sorte de coeurs vides au service de l’idéologie nazie. Une quête de vérité hypnotique qui nous plonge dans l’enfer de la trahison et le feu ardent de la vengeance !

51 réflexions sur “J’ai entendu le chant des morts, Jacques Mazeau

    • Merci pour le compliment 🙂
      Il y a en effet un côté désespérant de voir ces hommes et femmes défendre leurs valeurs tellement nauséabondes et sombrer avec une facilité déconcertante dans la haine de l’autre. Heureusement que l’auteur a su proposer des personnages qui contrebalancent cette lâcheté humaine, tout en n’en proposant pas des héros lisses, le contexte de la guerre comportant une violence inhérente quel que soit son côté…

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  1. Je ne suis pas fan des romans sur la seconde guerre mondiale, car j’ai l’impression qu’on ne voit que cette guerre là partout alors que toutes les guerres sont tragiques. Cependant, ta chronique m’intrigue un peu quand même.

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    • Je t’avoue que je ne suis pas fan non plus. J’en ai tellement lu plus jeune que j’ai fini par me lasser. Sans la mention suspense sur la couverture, j’aurais passé mon tour mais l’auteur a su happer mon attention et me toucher avec son histoire 🙂 Alors je suis ravie de t’intriguer ne serait-ce qu’un peu.

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  2. Quelle superbe chronique tu nous livre pour ce roman dont je ne connais pas l’auteur. Merci pour cette découverte.
    Tes mots m’ont touché, m’ont même donné les larmes aux bords des yeux. Je te remercie pour ton retour et c’est pour ça que j’aime suivre ton blog. Merci encore

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  3. Ce titre a lui seul offre déjà une aura particulière je trouve. Il a l’air intense ce roman, et éprouvant aussi. « La guerre n’a pas créé de monstres, elle s’est contentée de les dévoiler à la face du monde. » Je trouve tes mots très justes ! Je ne connaissais pas mais je te remercie pour cette belle chronique 🙂

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