Plus heureuse que moi, tu meurs de Joo Youngha

Couverture Plus heureuse que moi, tu meurs

J’ai lu Plus heureuse que moi, tu meurs de Joo Youngha en lecture commune dans le cadre d’un challenge autour de la littérature coréenne organisé par Céline du blog Mon journal Livresque.

Trois résidentes d’un immeuble luxueux, trois femmes vivant dans la perfection conjugale et maternelle, vont se lancer un défi insensé : laquelle affichera le plus grand bonheur via les réseaux sociaux.

Une battle qui s’arrête net un certain soir, avec la découverte d’un cadavre et d’une spectaculaire scène de crime

Matin calme (21 avril 2022) – 222 pages – 20€
Traduction : Moduk Koo , Cécilia Castelli

AVIS

Dès les premières pages, j’ai apprécié l’ambiance dérangeante instaurée par l’autrice qui nous étale avec un sens de la mise en scène percutant les dessous les moins glorieux des réseaux sociaux… Et ceci à l’aune d’une enquête sur le meurtre d’une riche mère de famille qui s’était lancée, avec deux « amies », dans un étrange étalage de son bonheur sur les réseaux sociaux. Ainsi, chacune d’entre elles tentait de prouver à grand renfort de photos sur Instagram qu’elle était la plus heureuse d’entre toutes.

Au fil des pages, on réalise que pour atteindre cet objectif malsain tous les coups étaient permis ! Une photo d’une concurrente sur son propre compte avec un commentaire sibyllin, des propos semant le doute sur les photos d’une « amie », de la manipulation… La course au bonheur de ces mères de famille, qui sont plus intéressées par l’image du bonheur que le bonheur en lui-même, fait froid dans le dos, surtout quand on sait qu’elle se termine par un drame, la mort de Yoo-jin. Du moins, on se doute que sa mort est liée à ce jeu délétère dont il est évident que personne ne peut sortir vainqueur et encore moins indemne. 

Profitant des vacances qu’on lui a plus ou moins imposées, notre protagoniste, Mi-ho, décide d’enquêter sur le meurtre de Yoo-jin, ancienne camarade avec laquelle elle semble avoir un passif. Elle pourra compter sur l’aide de Sekyeong également ancienne amie de la victime, mais aussi sur une certaine capacité à foncer malgré le danger. Je dois d’ailleurs dire que j’ai trouvé certaines de ses actions peu probables, sauf à n’avoir aucun instinct de survie, mais cela ne m’a pas empêchée de prendre beaucoup de plaisir à la suivre dans ses investigations. Des investigations qui la plongeront dans un panier de crabes, au milieu de femmes riches qui se distinguent plus par leur méchanceté et leur égotisme que par leur grandeur d’âme et décence.

Avec beaucoup de réalisme, l’autrice dénonce les méfaits des réseaux sociaux, pas en tant que tels, mais quand ils sont dévoyés sur l’autel du narcissisme et de la perversion, la vie de ces femmes étant tout simplement guidée par les apparences. La charge est d’autant plus forte que l’image et le statut social sont importants en Corée et que la pression que cela fait peser sur le poids de certain(e)s peut pousser à bien des extrémités, a fortiori quand la vie de chacun peut être étalée et décortiquée sur les réseaux. Mais ce qui fait la force de Plus heureuse que moi, tu meurs, c’est avant tout la manière dont à partir d’un drame actuel, Joo Youngha nous plonge dans les drames du passé.

Jouant sur les non-dits et les phrases qui ne dévoilent leur réalité/vérité qu’à mesure que les souvenirs du passé ressurgissent, l’autrice nous permet de saisir les réelles raisons poussant Mi-oh, et dans une certaine mesure Sekyeong, à se mêler de l’enquête. Relation familiale toxique, maltraitance psychologique, abus sexuels… les thèmes abordés ne sont pas simples, mais ils le sont sans pathos, ce qui n’empêche pas le lecteur de se révolter. Je pense notamment au silence impardonnable d’une adulte devant le pire.

La plongée dans le passé apporte un éclairage intéressant sur l’ancienne amitié entre Mi-oh, Sekyeong et Yoo-jin. Une amitié libératrice et salvatrice jusqu’à ce qu’un événement ne vienne tout remettre en cause. À cet égard, je dois dire que je n’avais pas anticipé la révélation finale, qui explique pourtant pleinement ce sentiment de dissonance qui m’a accompagnée durant une partie de ma lecture. J’ai apprécié de me laisser surprendre, d’autant que cela a engendré chez moi un puissant sentiment d’empathie pour deux personnages, victimes malgré elles de la violence et de la lâcheté humaine.

Quant au style d’écriture, je l’ai trouvé simple et rythmé ce qui permet une incursion accessible dans la littérature coréenne, d’autant qu’hormis les noms et quelques éléments de contexte, le roman aurait pu se passer dans bien des grandes villes occidentales. Pour ma part, j’ai aimé le rythme du récit qui ne laisse aucune place aux tergiversations et qui joue avec efficacité sur les doutes, les fausses pistes, les secrets du présent et les douleurs du passé. Des douleurs trop longtemps enfouies mais que l’enquête sur le décès de Yoo-jin permettra enfin d’exposer et de panser.

En conclusion, en plus de nous plonger sans ambages dans une ambiance malsaine à coups de bonheur factice partagé sur les réseaux sociaux, Joo Youngha nous propose ici une enquête rythmée et emplie de secrets, de manigances et autres coups tordus. Une peinture sombre et sans concession d’une classe sociale coréenne riche mais déshumanisée, pour laquelle l’image et la réputation valent tous les sacrifices, et plus encore. Prenant et saisissant, Plus heureuse que moi, tu meurs est un thriller qui nous tient en haleine avant de nous étourdir par un twist final savamment amené et particulièrement bien pensé !

Je vous invite à découvrir les avis de Maggie, Rachel et @couleursdeslys, doudoumatous

56 réflexions sur “Plus heureuse que moi, tu meurs de Joo Youngha

  1. Les thématiques me parlent beaucoup. Mais je me tâte vu que tu dis que le pays est effacé dans le décor. J’aime quand les lieux dans lequel se déroule l’intrigue sont palpable par leurs différents aspects. Surtout quand le pays en question est si éloigné de nous.

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  3. La thématique des réseaux sociaux me parlent bien et ce twist final dont parlait aussi Doudoumatous m’intrigue furieusement ! Très probable que je lise ce thriller coréen prochainement.:)

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  5. Ton analyse est très complète, je ne vois pas grand chose à ajouter. Je n’y ai pas pensé sur le moment mais, comme tu le dis, le roman est assez fluide (excepté les fameuses dissonances qui s’expliquent plus tard). Pour une fois, je ne me suis pas trop mélangée les pinceaux dans les prénoms et patronymes coréens

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  7. J’étais déjà intéressée par ce titre en le voyant dans ton dernier Book Haul, et ta chronique me rassure car je n’ai jamais lu de roman coréen. Mais apparemment la lecture est fluide et ça c’est un bon point. J’aime beaucoup l’idée de départ pour ce roman, et le fait que l’auteure dénonce à sa façon l’utilisation néfaste que peut engendrer les réseaux sociaux. Tu parles de bonheur factice, et même d’une course au bonheur, c’est un sujet qui me botte pas mal pour une intrigue de thriller. Enfin, tout ça pour dire que ta chronique m’a convaincue, je le note. 🙂

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  9. Tu m’avais fait envie avec ta chronique de ce roman et je voulais te dire que je l’ai enfin découvert. Je n’avais jamais lu de roman coréen avant celui-ci et tu as raison, en termes de décor, il aurait très bien pu se dérouler dans n’importe quelle ville. J’ai eu plus de mal à m’habituer aux prénoms par contre, ça m’a un peu joué des tours parfois. Question d’habitude peut-être. 🤭 J’ai bien aimé la manière dont l’auteure présentait les publications des mères qui se mettent en duel sur les réseaux, avec ces petits messages cachés en commentaire. C’était sympathique comme découverte, je te remercie pour cette première incursion dans la littérature coréenne 🙂

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