Le cas Victor Sommer, Vincent Delareux

Couverture Le cas Victor Sommer

Je remercie les éditions de l’Archipel de m’avoir envoyé Le cas Victor Sommer de Vincent Delareux et l’auteur pour sa dédicace.

À 33 ans, Victor Sommer mène une vie discrète et monotone qui lui pèse. Secrètement, il aspire à devenir « quelqu’un » aux yeux du monde. Cette ambition est toutefois entravée par sa mère, une vieille infirme autoritaire et possessive qui l’empêche de proprement exister.
Mais voilà qu’un jour, cette dernière disparaît sans laisser de traces. Livré à lui-même, son fils va devoir faire face à ce monde qu’il n’a jamais appris à connaître. Une fois l’angoisse de la disparition passée, Victor va s’accommoder de cette indépendance nouvelle et la mettre à profit pour enfin réaliser son fantasme : à l’avenir, il existera davantage que quiconque. À ses risques et périls. Car sa mère, sans doute, n’est pas aussi loin qu’il le pense…

Archipel éditions (25/05/2022) – 208 pages – 18€

AVIS

Le résumé m’a tout de suite intriguée, mais je ne m’attendais pas à être autant subjuguée par cette lecture. Il faut dire que l’auteur nous propose ici un roman différent et original qui tient captif non pas par une profusion d’actions et d’effets, mais par une tension psychologique qui grandit insidieusement jusqu’à atteindre son point de rupture.

Déroutant et déstabilisant, ce roman l’est, tout comme son protagoniste, Victor, un trentenaire transformé en Tanguy par les caprices d’une mère étouffante, capricieuse, un peu reine du drama sur les bords, et un peu trop tactile au goût de son fils. Pas vraiment la mère idéale donc, d’autant qu’elle a veillé à isoler socialement son fils, construisant autour de lui une prison dont il a fini par s’accommoder.

Victor semble ainsi accepter cette vie en autarcie à deux avec un détachement incroyable, jusqu’à ce qu’il décide soudainement, à trente-trois ans, de chercher un travail et, comble de l’ingratitude, d’accepter de sortir avec une fille. Deux grains de sable dans le rouage d’une vie rythmée par une femme qui a l’habitude d’être obéie sans délai par un fils, pas vraiment aimant, mais incroyablement docile et patient. La sanction du coup d’éclat de Victor ne se fait pas attendre, sa mère se volatilise !

Est-ce que, contrariée par la situation et les velléités d’indépendance de son fils, elle a décidé de lui infliger une petite leçon en lui montrant que sans elle et son argent, il n’est rien et ne peut pas vivre ? Ou la raison de sa disparition est-elle plus obscure et dramatique ? L’auteur introduit un certain suspense et une belle tension autour de cette question, même si, pour ma part, par le jeu des allusions, je me suis assez vite fait une opinion qui s’est révélée être la bonne.

Malgré une ambiance parfois psychologiquement pesante, Victor se montre drôle sans le chercher, son détachement au monde et à lui-même lui permettant d’avoir une approche très particulière de la vie et des événements. N’ayant jamais vraiment vécu sa vie d’adolescent et d’adulte, il se révèle souvent assez naïf, mais sans jamais être enfantin. Victor n’est pas attachant, il n’est pas non plus franchement antipathique, il est juste déroutant, d’autant que certaines de ses pensées et de ses réactions se révèlent imprévisibles et témoignent de son degré d’immaturité émotionnelle et affective. Ce personnage est définitivement à part, peut-être parce qu’il est le résultat d’une vie en liberté sous captivité.

Pour ma part, j’ai apprécié la manière dont Vincent Delareux nous permet de suivre l’évolution de son état d’esprit grâce à un découpage en plusieurs parties. On le voit se rebeller symboliquement contre l’autorité et l’autoritarisme de sa mère, se désespérer de la disparition de cette figure maternelle omnisciente, entrer dans une phase de déni, avant d’entamer une sorte de renaissance où il réalise qu’en sortant de sa caverne et des murs de sa maison/prison, c’est tout un monde qui lui ouvre les bras. Mais après tant d’années en cage, est-il en mesure d’accueillir l’infini des possibles d’une vie dépourvue de barrières ? Comment trouver du sens à sa vie quand depuis trois décennies, elle est régentée de A à Z et du soir au matin, par une seule et même personne ? Créatrice, bourreau et messie réunis en une seule figure qui inspire une réelle ambivalence des sentiments…

Il y a dans ce roman, une sorte de désespérance et de violence latente qui, étrangement, n’assombrit pas la lecture, elle aurait même tendance à l’ancrer dans un questionnement global où l’histoire de Victor dépasse le cadre individuel pour amorcer des questions quasi philosophiques. Il est question, entre autres, des présents et des absents, des absents encore bien trop présents, du sens et du fardeau de la vie et de la nécessité de la mort, de relations familiales étouffantes et profondément malsaines, de la difficulté à s’approprier la liberté et donner une orientation et un but à sa destinée, des fantasmes provoqués par le vide…

Au fil des pages, j’ai noté un certain nombre de phrases parce que je les ai trouvées particulièrement fines ou bien tournées. En plus de nous plonger dans une histoire plus profonde qu’il n’y paraît, l’auteur nous offre, en effet, un exercice de style parfaitement maîtrisé grâce à une plume incisive qui touche au plus près et frappe très fort. Sans envolée lyrique, il vise juste et alterne entre allusions et force des non-dits, et implacabilité d’une vérité dénuée de toute volonté de plaire. Car Victor ne cherche pas à plaire, il est déjà bien trop occupé à tenter d’exister ! Pas une mince affaire quand on a passé trente-trois ans à se contenter de (sur)vivre à chaque journée…

En conclusion, Le cas Victor Sommer est un texte à part, un roman noir qui brille par le travail effectué sur la psychologie d’un personnage qui semble se réveiller d’un long sommeil de trois décennies. Un réveil qui alternera entre cauchemar et espoir, et qui conduira les lecteurs dans une sorte d’entre-deux où ils ne savent pas s’ils peuvent croire au meilleur ou s’attendre au pire. Un roman court et intense, à l’écriture libérée des contraintes de l’émotion où la tension se mêle à l’angoisse de l’absence, à moins que ce ne soit d’une liberté inattendue, mais chèrement payée !

25 réflexions sur “Le cas Victor Sommer, Vincent Delareux

  1. Mille mercis pour votre chronique ! Pour tout vous dire, elle m’a autant ravi qu’impressionné.
    Je suis enchanté que mon roman vous ait plu à ce point, mais je suis encore plus heureux que vous l’ayez lu avec tant de finesse. Beaucoup de lecteurs ont, jusqu’à présent, capté les messages véhiculés dans le livre, mais il me semble qu’à ce jour, c’est vous qui en avez parlé le mieux.
    Mille mercis ne suffisent donc pas ; je vous en offre un million !

    Vivement la suite, donc… Pour cela, je vous donne rendez-vous l’année prochaine !

    Amicalement,
    Vincent

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    • De nouveau, un grand merci à vous pour avoir pris le temps de me remercier pour mon avis, surtout avec autant de gentillesse et d’enthousiasme 🙂
      Je serai, bien sûr, présente l’année prochaine pour découvrir ce que votre esprit et votre plume nous réservent 🙂

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