Le paradis des vauriens,Wendall Utroi

Couverture Le paradis des vauriens

« Dans ce nouveau roman, j’ai voulu donner vie à deux enfants blessés : Kalya, d’origine tsigane, que recueille un ferrailleur, et  Sans-Nom, un gamin un peu chétif, fils d’une prostituée. L’histoire prend sa source dans les plaines du Nord au milieu des années 30 et vient mourir dans le sud-est de la France beaucoup plus tard. Deux lieux, deux époques et deux terribles destins. Aimer le destin, c’est le forcer à vous écouter pour que, un jour, à son tour, il vous aime un peu.

J’ai une affection particulière pour ces deux personnages. Ils m’habitent depuis toujours. Je voudrais tellement qu’ils entrent dans vos vies. »

Wendall Utroi

Le Paradis des Vauriens est le neuvième roman de l’auteur des Yeux d’Ava et de La Loi des hommes. Une saga comme on les aime, avec de la haine et de la colère, un peu de violence, beaucoup de joie et l’amour, toujours.

Slatkine & Cie (7 octobre 2021) – 476 pages – Papier (19€) – Ebook (7,99€)

AVIS

Avec Le paradis des vauriens, un titre qui pourrait presque avoir valeur d’oxymore, mais qui représente surtout un havre de paix dans un tourbillon de noirceur, l’auteur nous propose un roman sombre et noir, une fresque sociale et sociétale qui met en lumière la précarité de certains et la violence de la vie, du moins de la vie de personnes n’ayant pas eu la chance de naître dans une bonne famille. Ainsi, dès le départ, les dés nous semblent pipés, un peu comme si quoi que Sans-Nom, Hugo ou Kalya fassent, la vie s’évertuait à les remettre à leur place.

Une jeune fille adoptée par un rustre et vivant le pire dans le silence, un homme sans-nom, devenant malgré lui le symbole d’une classe sociale en déliquescence et d’une vie façonnée dans et par la violence… Des destins que l’on suit grâce à une double temporalité, nous faisant naviguer entre les années, les lieux et des chemins de vie différents qui semblent pourtant étroitement et inexorablement liés. Que de malheurs, de violence, de drames, de soumission, de rébellion, mais aussi de résilience et d’amour entre ces pages. Le paradis des vauriens n’est pas de ces lectures que l’on découvre pour s’évader, mais plutôt de ces lectures que l’on fait pour être touché, remué, heurté parfois, mais aussi se sentir vivant, à l’instar d’un homme qui se délite dans les erreurs et se perd dans la violence, mais qui n’oublie jamais de vivre.

Froid, hargneux et hanté par cette peur du vide symbolisée par un rejet viscéral de l’ennui, qui le pousse à bien des extrémités et des imprudences, notre héros se révèle difficile à suivre et à aimer. Ses actes sont bien souvent condamnables et odieux, notre homme n’hésitant pas à tabasser et à tirer parti de la faiblesse d’autrui comme on a tiré avantage de la sienne. Mais plus on avance dans le roman, plus on réalise que Sans-Nom est avant tout le fruit de son époque, de son milieu de naissance, des manquements d’une mère qui a pourtant fait de son mieux, de rencontres qui lui auront très tôt appris que l’homme est un loup pour l’homme. Et ce n’est pas faire grand honneur aux loups en les comparant à ces êtres capables d’une violence inouïe parce qu’ils le peuvent, tout simplement.

Alors, si je ne me suis jamais attachée à notre anti-héros, une vie de misère ne pouvant faire oublier et justifier la manière dont il se comporte, difficile de ne pas reconnaître en lui un battant, un combattant capable de survivre en milieu hostile, et de faire face au danger, quitte à y répondre par une violence décomplexée. Loin de nous proposer des personnages lisses et consensuels, l’auteur nous offre donc ici des personnages complexes, forts, écorchés et façonnés par des débuts de vie difficile, des enfants oubliés de la société et élevés dans un climat de violence et de peur dans lequel l’adulte n’est jamais la solution, mais toujours le problème. Pédophilie, viols, violence physique et morale, dérives sectaires, endoctrinement, prostitution… des thématiques fortes et brutales que l’auteur déploie page après page sous nous yeux, sans jamais tomber dans la surenchère.

Malgré la dureté du récit, j’ai lu le roman rapidement, happée par l’écriture pleine d’humanité et de réalisme de l’auteur, qui arrive à distiller des pointes de lumière par-ci, par-là, mais surtout à faire ressentir aux lecteurs la force de ses personnages. C’est peut-être ce qui explique que malgré l’absence d’attachement à Sans-Nom, dont l’identité se dévoile progressivement à nous, j’ai eu envie qu’il accède enfin à cette parcelle de bonheur qui semble systématiquement se dérober à lui. Une parcelle de bonheur qu’il essaie, même inconsciemment, d’atteindre depuis qu’il a dû quitter son Éden, son paradis des vauriens, séparé de son Ève par un destin qui aime à se jouer d’eux… Kalya, autre personnage important du roman, bénéficie également d’une belle complexité, et d’une certaine fragilité qui la rend paradoxalement très forte. Jeune fille courageuse et résiliente, bien plus qu’elle ne le pense, elle apportera à Hugo cet amour pur, inconditionnel et sans concession qui lui permettra d’avancer, même dans les moments les plus difficiles. Un tandem à la Bonnie & Clyde dont on ne peut s’empêcher d’espérer une fin plus lumineuse.

Le paradis des vauriens n’est pas un livre joyeux, bien que l’amour unissant Hugo et Kalya est d’une pureté qui instille une certaine chaleur dans les cœurs et de l’espoir dans une chair parfois meurtrie, mais c’est un roman dont il est quasiment impossible de s’extirper sans y laisser une petite partie de soi-même, de son âme. L’auteur possède ainsi un talent indéniable pour nous plonger dans la vie de ses personnages, êtres de fiction qui nous semblent que trop réels et dont on partage les affres et les tourments, mais aussi les espoirs et les sentiments bruts et brutaux. Il n’y a pas ici de place pour la fadeur ou l’ennui, tout est intense et sonne dramatiquement vrai.

Le paradis des vauriens, c’est un roman que l’on quitte le cœur lourd et la tête pleine de ses personnages, de cette fille libre d’esprit à défaut de l’être de corps, de cet homme élevé dans la violence et dirigé par ses instincts primaux, qui finit par renouer avec ce petit garçon qu’il aurait pu être dans une autre vie. Le paradis des vauriens, c’est l’histoire de destins croisés, de « si et de peut-être » jamais achevés, de périodes d’accalmie permettant de mieux vivre les tempêtes, de baisers donnés dans la tourmente et dérobés au destin, d’espoirs d’enfant brisés par la vie mais jamais totalement oubliés ni effacés… Au fil des pages, les personnages et les lecteurs vont être poussés dans leurs retranchements, côtoyer le pire, voir le monstre derrière l’Homme, la convoitise derrière les sourires, la duperie derrière l’innocence, la noirceur derrière les idéaux, mais ils vont aussi réaliser la force et la puissance d’une promesse de sang faite par deux gamins, deux vauriens, devenus bien trop tôt adultes…

Je remercie les éditions Slatkine & Cie pour m’avoir envoyé ce roman en échange de mon avis.

22 réflexions sur “Le paradis des vauriens,Wendall Utroi

  1. Ola, effectivement, les thématiques sont fortes, sensbles et brutales. J’avoue que la pédophilie couplée à la prostitution me fait peur… En tout cas, on sent que l’écriture lumineuse et intense de l’auteur t’a marquée. Pas sûre que je tente, mais je comprends que tu quittes cette histoire avec le coeur lourd et des passages plein la tête…

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  2. Pingback: C’est le 1er, je balance tout ! novembre | Light & Smell

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