Dans la secte, Pierre Henri et Louis Alloing

Couverture Dans la secte

Le thème des sectes m’intéressant depuis longtemps, je n’ai pas hésité à lire Dans la secte de Pierre Henri et Louis Alloing, une BD découverte par hasard dans les rayons de la bibliothèque.

Résumé : Dans la nuit, une jeune fille court pour attraper son train. Elle désire partir au plus vite. Mettre des kilomètres entre elle et cette secte où elle vient de passer plusieurs mois, éprouvants, éreintants. Dans la tranquillité du train qui file vers Paris, Marion se souvient de l’itinéraire qui l’a amenée jusqu’ici : publicitaire aux soirées aussi remplies que les jours, en rupture amoureuse et familiale, elle suit les conseils d’un ami qui lui propose de venir se ressourcer, s’épanouir grâce à des techniques scientifiques parfaitement éprouvées. Marion met, avec espoir, le doigt dans un engrenage – celui de l’Eglise de Scientologie – dont il lui faudra des années pour s’extirper entièrement.

La Boîte à Bulles (26 août 2005) – 96 pages – 14,50€

AVIS

Dans cette BD témoignage, Marion revient courageusement, 20 ans après, sur son expérience traumatisante au sein de la Scientologie à Paris puis au centre européen de Copenhague.

Une secte dont les méthodes quasi militaires nous apparaissent d’une terrible implacabilité. Après la phase d’approche et de séduction, où l’on fait miroiter aux gens une vie meilleure grâce à de supposées méthodes prouvées scientifiquement, vient la phase de conditionnement où l’on abrutit les esprits et épuise les corps. Certains passages m’ont donné l’impression d’être plongée dans un camp de travail, sauf que l’emprisonnement est volontaire, les personnes acceptant elles-mêmes, sans même le réaliser, une vie dépourvue de liberté, de fantaisie et de chaleur humaine. Une vie de très grande solitude, où la délation est encouragée et la méfiance de circonstance, bien loin de l’esprit de groupe et de cohésion vanté lors des réunions de présentation…

Je connaissais la scientologie grâce à l’acteur Tom Cruise, probablement le plus connu de ses membres, mais je ne pensais pas ses méthodes aussi brutales ! Il y a, ainsi, des passages difficiles où l’on sent la puissance de l’emprise de la secte sur ses membres et de ses méthodes confinant parfois à la torture psychologique. Épuisée par le manque de sommeil et des efforts physiques intenses, entrecoupés de « leçons », Marion va néanmoins avoir ce sursaut de vie la poussant à prendre ses distances avec une organisation qui s’est engouffrée dans ses failles.

En pleine errance amoureuse et nouvellement au chômage, Marion n’était, en effet, pas au meilleur de sa forme quand elle a été initiée par l’intermédiaire d’un « ami ». Mais plus on avance dans la BD, plus on réalise que n’importe qui aurait pu se laisser piéger ou presque, la secte sachant admirablement bien mettre en confiance ses futures victimes, aidée en cela par un discours bien rôdé dévoyant certains préceptes de développement personnel.

C’est probablement l’un des effets les plus pervers de cette secte, faire croire aux potentiels membres qu’elle va les aider à s’épanouir et à être heureux, quand elle les pousse à la dépense, avant de mieux les détruire psychologiquement afin de les garder sous sa coupe. Ainsi, en intégrant la secte, Marion fuyait une vie qui ne lui convenait plus, sans réaliser qu’elle mettait le pied dans un engrenage infernal et destructeur. Marion a réussi à s’en sortir et à retrouver une place parmi les siens, mais combien d’autres victimes n’ont pas eu cette chance ? Durant la lecture de cette BD, cette question n’a eu de cesse de me traverser l’esprit, d’autant que le témoignage de Marion rappelle que la justice n’est pas d’une très grande efficacité pour lutter contre les sectes et leurs méthodes…

Si j’ai compati aux épreuves traversées par la jeune femme, de son expérience au sein de la secte à l’après, entre les séquelles psychologiques et les menaces de la Scientologie qui n’a pas particulièrement bien pris son départ, je ne me suis pas attachée à elle. Son témoignage est percutant et captivant, mais il est dénué d’émotions. Il y a une sorte de mise à distance émotionnelle, probablement nécessaire pour évoquer une expérience dévastratice... Et puis, il est vrai qu’au centre de Copenhague, Marion a appris à ne plus ressentir, juste à travailler sans relâche et à faire des préceptes de la secte les siens. Cela se ressent obligatoirement dans la manière assez froide dont elle relate les événements. Une froideur rehaussée par les dessins simples, mais pas simplistes, et la teinte bleutée des illustrations. 

On évite donc tout pathos, ce que j’ai apprécié, d’autant qu’on ressent très bien le mal-être de Marion la gagner et la ronger à mesure que s’écoulent les semaines de labeur et de lavage de cerveau. Je l’ai d’ailleurs trouvée très courageuse d’arriver, malgré les circonstances, à prendre du recul sur ses émotions qu’on a tout fait pour étouffer, et à décider de quitter la secte alors qu’elle était seule dans un pays étranger, face à des personnes bien déterminées à ne pas la laisser partir. Après tout, si la perte de son travail ne permettait plus à Marion de payer à prix d’or de pseudo-formations, elle n’en demeurait pas moins une recrue de choix dont le zèle avait été, jusque-là, fortement apprécié…

En bref, Dans la secte est une BD que je recommande afin de comprendre les mécanismes d’embrigadement et de conditionnement des sectes, et plus particulièrement de la Scientologie. Une plongée terrible et pourtant nécessaire dans un enfer dont notre narratrice a réussi à s’échapper, non sans en avoir subi les conséquences et gardé des séquelles.

30 réflexions sur “Dans la secte, Pierre Henri et Louis Alloing

  1. Si le sujet ne m’aurait pas intéressé au premier abord, comprendre le système par lequel les sectes embrigadent les gens en le voyant de l’intérieur a finalement l’air très intéressant, même si je ne sais pas comment je réagirais face au côté très froid de l’œuvre.

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  2. Voici un sujet sur lequel je suis bien plus éduqué que j’aimerais. Aux États-Unis, les crimes de ce secte comprennent : le meurtre de Lisa MacPherson, une jeune femme qui voulait quitter la Scientologie ; « Operation Snow White », où certains membres du secte ont infiltré le gouvernement pour voler des documents avec des infos négatives à une centaine d’agences ; et « Operation Freakout », une campagne de harcèlement contre une journaliste qui essayait de les exposer, dont la mettre en prison. Ça ne mentionne même pas leurs campagnes de harcèlement contre n’importe qui qui poste des commentaires contre eux en ligne.

    Dit autrement, je ne suis pas fan.

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  3. Les sectes, vaste sujet. Tu as merveilleusement développé la thématique. J’ai un livre dont je parlerai parce que je continue à m’y intéresser régulièrement dans le cadre de la santé.
    Le désespoir, la dépression… sont une réserve appétissante pour les gourous.
    Surtout en France où malheureusement, l’information sur les professionnels est floue.
    Je te souhaite une excellente journée. A bientôt

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  4. coucou
    C’est un vaste sujet que les sectes, il y en a tellement. Sous la forme d’une BD je trouve que c’est intéressant, je connais quelqu’un dont la femme est entré dans le scientologie, elle a faillit y emmener sa fille mais son père a réussie à la garder auprès de lui. Merci pour cet article
    bise

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  5. En voilà une lecture qui ne doit pas laisser indifférent. C’est fou les mécanismes utilisés par les sectes pour gagner des adeptes, et comme tu le dis, la situation précaire, qu’elle soit mentale ou sociale, joue souvent un rôle dans leurs techniques de « recrutement ». Ce qui démontre bien que personne n’est à l’abri un jour de croiser la route d’un manipulateur. En parler est un bon moyen de contrer ses méthodes. Un livre très intéressant, d’autant plus sur la scientologie, ou effectivement on associe plus souvent des grands noms de célébrités comme Tom Cruise ou Will Smith plutôt que l’idée d’une secte. Merci Audrey pour cette chronique.

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    • Je pense, comme toi, qu’on ne peut pas rester indifférent, d’autant que ce témoignage permet de faire les taire les personnes ayant tendance à penser que cela n’aurait jamais pu leur arriver. La BD montre à quel point il est facile de se laisser piéger et que la secte n’hésite pas à utiliser des intermédiaires pour amadouer ses victimes.
      Je suis très critique envers ces célébrités qui connaissent l’impact de leur image et qui n’hésitent pas à l’utiliser pour convertir en masse…

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    • Je pense que la justice est débordée et que les dirigeants de ces organisations gens ont le bras long. Et puis, on voit avec Marion qu’ils n’hésitent pas à payer pour que les plus bavards se taisent…
      Et rangement, il n’y a pas ce côté anxiogène qu’on pourrait craindre (sauf pour une scène) parce que Marion témoigne 20 ans après, alors on sait qu’elle s’en est sortie.

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  6. Pingback: C’est le 1er, je balance tout ! septembre 2022 | Light & Smell

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