La solitude des grandes villes, Pauline Perrier

Couverture La solitude des grandes villes de Pauline Perrier

La solitude des grandes villes, Pauline Perrier

Ève a 27 ans, un métier provisoire depuis trois ans et autant de névroses que les doigts de la main. Timide maladive, elle vend des matelas dans une boutique en faillite et se cache derrière les fiches produits quand les clients apparaissent. Le jour où sa collègue, June, la pousse à s’inscrire dans un groupe de parole pour timides afin d’augmenter le chiffre d’affaire, sa vie bascule.

Ève se met à mentir sur son identité pour redorer son égo. Elle se rêve dessinatrice célèbre et, grisée par la confiance en elle que ses mensonges lui procurent, elle réitère l’expérience dans d’autres groupes, se créant de nouveaux alias. Mais quand Thomas, un libraire passionné de B.D., débarque à la réunion des timides en détresse, l’équilibre fragile de ses multiples vies menace de s’écrouler. Comment construire une histoire d’amour alors qu’il la prend pour une autre ? Prendra-t-elle le risque de perdre les amitiés créées au fil de ses mensonges en lui avouant la vérité ?

Hugo Roman (10 février 2022) – 330 pages – Papier (16,95€) – Ebook (9,99€)

AVIS

Le titre m’a tout de suite intriguée et le résumé m’a convaincue de donner sa chance à ce roman que j’ai apprécié au-delà de mes attentes.

Il faut dire que timide maladive comme l’héroïne Ève, je me suis vraiment reconnue en elle ! Pas en sa tendance à multiplier les mensonges pour se sentir exister, mais en sa propension à se cacher et à fuir quand la situation la dépasse, c’est-à-dire souvent, à imaginer des scénarios catastrophes au moindre changement, à redouter le contact direct avec autrui à l’exception des quelques personnes avec lesquelles elle se sent à l’aise, et même dans sa relation avec ses grands-parents qui sont un peu son refuge…

Je ne sais pas si Pauline Perrier est une grande timide, mais je peux dire qu’elle a su cerner ce que cela implique au quotidien. Bien sûr, chaque timide est différent et l’est à un degré variable, mais il n’empêche, je me suis sentie comme à la maison dans ce roman. Je n’ai pas compris toutes les réactions d’Ève qui s’enferme dans ses mensonges, mais j’ai compris ce qui a pu l’y emmener, tout le monde n’ayant pas la confiance nécessaire en ses capacités pour affronter le quotidien et des situations en apparence simple. Mais chose intéressante, l’autrice en faisant progressivement évoluer son personnage nous montre que penser ne pas avoir les ressources en soi ne signifie pas en être vraiment dépourvu…

Ainsi, petit à petit, Ève va sortir de sa zone de confort, prendre des risques et réaliser qu’il lui appartient de quitter cette vie de vendeuse de matelas qui ne lui a jamais convenu. Et c’est un euphémisme, Ève passant plus de temps à se cacher dans la réserve qu’à tenter de vendre le moindre matelas. J’ai adoré la voir avancer vers le chemin de vie qui lui correspond vraiment dans la bienveillance la plus totale, la jeune femme étant entourée, entre autres, par sa meilleure amie qui la bouscule un peu parfois, mais qui l’accepte telle qu’elle est. Mais Ève doit également régler une situation difficile dans laquelle ses mensonges, son besoin désespéré d’appartenance et son sentiment de solitude l’ont placée…

Tour à tour dessinatrice dans son groupe pour les timides, addict au shopping dans son groupe pour les personnes souffrant d’addiction, mère dans un autre… Ève s’est inventé des vies en fonction des circonstances. L’arrivée de Thomas dans son groupe pour les grands timides va toutefois changer la donne ! Mais comment nouer une sincère relation avec ce libraire qui la fait complètement craquer alors qu’il la connaît sous une identité qui n’est pas réellement la sienne ? Comment lui avouer la vérité sans risquer de perdre l’amitié des autres membres du groupe auxquels la jeune femme est très attachée ? Malgré ces questions qui la tenaillent, Ève va se rapprocher de ce nouveau membre non dénué de charme…

J’ai beaucoup aimé suivre les échanges et la complicité naissante entre ces deux timides parfaitement complémentaires qui vont s’ouvrir l’un à l’autre. Ainsi, au fil des pages, on découvre les blessures et failles de Thomas et celles d’Ève, et la manière dont ils vont avancer main dans la main sans jamais se brusquer. Reste toutefois en suspens le mensonge de notre héroïne, puisqu’on se doute bien qu’à un moment ou à un autre, le château de cartes va s’effondrer. Cette question apporte une tension indéniable et nous pousse à attendre fébrilement la chute, mais cela ne nous empêche pas de savourer pleinement la puissance et la beauté de la relation entre deux personnes qui abandonnent leur retenue sur l’autel de l’authenticité.

Car à part le mensonge inhérent à sa profession, la jeune femme n’a jamais vraiment menti sur le plus important, ce qu’elle est, ses valeurs, sa passion pour la cuisine dont elle n’hésite pas à faire profiter son entourage avec de bons desserts, et ce qu’elle ressent. Et puis, comme le souligne fort à propos Damien, tout le monde ment ! Les mensonges d’Eve n’ont jamais été malveillants, ils ont juste été pour elle un moyen détourné, et il est vrai très maladroit, de combler son sentiment de solitude… Cela ne signifie pas qu’elle ait eu raison, mais cela ne la rend pas non plus monstrueuse.

Je me suis d’ailleurs beaucoup attachée à cette jeune femme altruiste et profondément gentille qui, malgré ses pensées limitantes et ses peurs, fait de son mieux et est toujours là pour ses ami(e)s.  Thomas se révèle, quant à lui, attendrissant, mais c’est pour le meilleur ami d’Ève, Damien, que j’ai eu un gros coup de cœur.  Ce dernier va devoir affronter une terrible épreuve, mais il sera un ami fidèle pour Ève, comme elle sera une épaule solide et aimante sur laquelle il pourra compter pour affronter la tempête. Grâce à ce personnage, l’autrice introduit une thématique qui en général me fait fuir, mais elle est abordée ici avec une telle sensibilité et empathie qu’elle ne m’a pas dérangée et m’a même fait réfléchir. On réalise ainsi l’importance d’accompagner sans juger et vouloir imposer à l’autre son syndrome du sauveur…

Au-delà d’une romance tout en rondeur et subtilité, ce roman est émaillé de thématiques importantes : la timidité maladive, la solitude, le besoin d’appartenance, l’amitié, l’acceptation de soi, la confiance en soi, l’homosexualité et le rejet qu’elle peut encore susciter, la grossophobie, la charge mentale des femmes et des mères, la recherche de sa propre voie notamment professionnelle, spoiler (la fin de vie et le suicide)… Tout autant de sujets qui s’intègrent avec naturel à l’histoire et qui ne donnent jamais l’impression d’un inventaire à la Prévert.

Cela s’explique en grande partie par la plume de Pauline Perrier que j’ai trouvée agréable et très fluide avec une vivacité qui prouve que timide ne signifie pas éteint, bien au contraire. D’ailleurs, notre héroïne pourra se montrer parfois très drôle et Thomas malicieux et gentiment taquin. L’alternance de dialogues réalistes et d’une narration dynamique rend, en outre, la lecture plutôt addictive, tout comme les péripéties d’Ève sur le chemin de son épanouissement personnel, professionnel et amoureux. Cerise sur le gâteau, des chapitres qui commencent tous par un titre de chanson. Pour les petits curieux, la playlist est d’ailleurs disponible sur Spotify.

En conclusion, romance certes, mais aussi feel good dans le bon sens du terme, La solitude des grandes villes est un roman qui sonne vrai, qui fait du bien et qui donne enfin la parole aux oubliés de la société, les grands timides. À travers le personnage d’Ève, l’autrice nous propose ainsi une héroïne qui va petit à petit dépasser ses peurs et croyances limitantes pour se réapproprier sa vie au lieu de se contenter de la rêver. Le chemin sera parfois difficile, émaillé de rires et de larmes, mais il sera aussi l’occasion de belles rencontres et d’intenses émotions. Un beau roman qui plaira autant aux timides qui pourront se reconnaître en Ève qu’aux personnes ayant envie de découvrir une histoire emplie d’humanité et de mieux comprendre ce qui se cache derrière le mot timidité…

Je remercie Babelio et les éditions Hugo Roman pour m’avoir envoyé ce roman en échange de mon avis.

47 réflexions sur “La solitude des grandes villes, Pauline Perrier

  1. Étant, comme toi, moi aussi timide, ça me fait plaisir de voir naître ce genre de texte qui en plus capture avec justesse ce mal. Il n’y a que la partie mensonge qui me fait peur et sur je ne suis pas sûre d’aimer, mais le reste me tente énormément.
    Merci pour la découverte !

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    • Pour le mensonge, le tour de force de l’autrice est de nous permettre de saisir les motivations de son héroïne et surtout de les utiliser pour lui permettre d’avancer et de réparer ses erreurs…
      J’espère qu’il te plaira si tu finis par craquer 🙂

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  2. Je dois t’avouer qu’en découvrant cette couverture dans un de tes précédents articles, je ne m’attendais pas à ce résumer. En faite, je n’avais même pas idée du contenu, le titre et la couverture m’ont plu d’emblée. Mais en plus, maintenant l’histoire me plaît bien aussi ! Qui n’a jamais rêver l’espace d’un moment d’être quelqu’un d’autre. Même mieux, d’être une version améliorée de nous même. 😇

    « Imaginer des scénarios catastrophes au moindre changement » je m’y reconnais bien là aussi. 🤭 Tout le monde ment, mais tout dépend le degré de mensonges, c’est vrai qu’à première vu les mensonges d’Ève n’ont pas l’air bien méchant, mais ça peut devenir un engrenage dangereux.
    Mince, emportée par la lecture de ta chronique, j’ai lu le SPOILER 🤭 peu importe, je le note plutôt deux fois, qu’une. Merci Audrey ☺️

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    • La couverture possède ce mélange de poésie et d’imagination qui ne permette pas de saisir d’emblée le sujet, mais qui stimule l’esprit 🙂 Et puis, une fois qu’on a lu le roman, on en a comprend la symbolique 🙂
      C’est exactement ça, elle n’a voulu faire de mal à personne mais au bout d’un moment, elle finit prisonnière de ses propres mensonges. Et l’on prend plaisir à voir comment elle essaie de s’en sortir sans trahir plus qu’elle ne l’a déjà fait même de manière involontaire…
      Je me dis que j’aurais peut-être dû mettre les deux sujets du spoiler en TW ? J’ai hésité et hésite toujours d’ailleurs…

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