Polaris Will Never be Gone, tome 1 d’Eke Shimamizu

Attirée par la couverture, intriguée par le résumé et rassurée par la promesse d’une série en trois tomes, j’ai décidé de me lancer dans la lecture du premier tome de Polaris Will Never be Gone d’Eke Shimamizu.

Tajima Sora était une idole au sommet de sa popularité quand elle a mystérieusement disparu et maintenant tous ses anciens fans reviennent lentement à leur vie de tous les jours en oubliant tout d’elle. Mizumi est une lycéenne qui ne peut pas accepter ce fait, car elle considère cette idole comme une divine. C’est alors que 2 ans après la mort de son idole, elle commet un acte tabou afin de la pérenniser.

Chattochatto (26 mai 2023) – 179 pages – Traduction : Angélique Mariet

AVIS

Nous faisons la rencontre de deux personnages diamétralement opposés. Mizumi est obsédée par son idole maintenant décédée et est prête à tout, et c’est un euphémisme, pour garder le souvenir de Tajima Sora intact et vivant dans l’esprit du public. Quant à Kôriyama, c’est le contraire : il n’a strictement aucune passion dans la vie. Aucun but à suivre. Aucun objectif à atteindre. Un vide qui suscite autant d’ennui que d’irritation chez cet adolescent, à la personnalité exécrable, qui n’aime absolument personne.

Afin qu’on lui fiche la paix, il joue néanmoins le rôle de l’aimable lycéen, mais ses véritables pensées, jamais très gentilles, il les couche dans son carnet. Une habitude qui se retournera malheureusement contre lui… Plus ou moins forcé par Mizumi, il va ainsi se retrouver impliqué dans son projet particulièrement malsain et dérangeant, qui questionne autant la morale que l’idolâtrie poussée dans ses extrêmes et les limites de la technologie utilisée sans garde fou.

Mizumi est une lycéenne atypique et énigmatique pour laquelle on oscille entre compassion, pitié, compréhension et effroi. En effet, sa relation à son idole décédée est malsaine à souhait, Mizumi ne vivant que pour elle et à travers elle et son souvenir dont elle s’érige en gardienne. Gardienne d’une déesse du divertissement dépourvue dorénavant de fidèles. On peut sans aucun doute y voir une critique de certains fans dont la vie est entièrement tournée vers la ou les personnes qu’ils admirent, et qui sont prêts à toutes les dérives, aidés par les réseaux et autres plateformes populaires.

Mais il y a plus. Des indices laissent entrevoir une piste expliquant l’obsession de notre héroïne et ajoutent une touche de mystère et de suspense bienvenue. Et puis, on ressent de plein fouet sa solitude qui la pousse à combler le vide de son existence par le souvenir de Tajima Sora qui semble avoir compté énormément pour elle. Une jeune femme dont elle n’arrive pas à faire le deuil et dont la mort l’a coupée de la réalité, Mizumi ayant la tête dans les nuages ou probablement auprès de son idole.

Kôriyama semble également avoir une vie bien creuse, le jeune homme ne s’intéressant à rien ni à personne. Si son association contrainte avec Mizumi ne repose pas sur des bases très saines, il n’en reste pas moins qu’elle lui permet de se réveiller et de s’éveiller un peu à la vie. Alors qu’il est censé aider sa camarade, on en vient d’ailleurs à se demander si ce n’est pas elle qui finalement l’aide en lui apportant cette petite étincelle dont son existence était dépourvue. Avec Mizumi, envolé cet ennui qui l’éteignait peu à peu ! J’ai déjà croisé dans des mangas des personnages antipathiques, mais des misanthropes aussi jeunes, c’est une première. J’ai trouvé cela audacieux même si j’espère que son passé sera par la suite creusé pour qu’on comprenne comment un lycéen peut en venir à être aussi blasé par la vie et les gens.

Au-delà de la relation fan/idole et des dérives qu’elle peut entraîner, Eke Shimamizu aborde différents thèmes : le deuil, le mal-être adolescent, l’identité numérique des personnes décédées a fortiori quand elles sont connues, la popularité bien fragile des célébrités, et ce système qui a vite fait de remplacer une personne ou plutôt un « produit » par un autre. Ce système, Mizumi va en jouer, le détournant pour la gloire de son idole, à moins que certaines personnes ne décident de mettre un terme à ses actions…

À cet égard, je ne peux que saluer le travail du mangaka, car si je n’ai pu que condamner les actes de Mizumi, étrangement, j’ai croisé les doigts pour qu’elle ne se fasse prendre. La jeune fille se moque de son avenir, mais le lecteur, lui, veut le protéger. Ainsi, une certaine empathie et affection pour cette lycéenne à l’obsession dérangeante se développent progressivement. Il faut dire que derrière son obsession, c’est sa solitude qui m’a frappée et marquée… Une solitude partagée par Kôriyama qui ne peut jamais se montrer aux autres sous son vrai jour. Reste maintenant à déterminer si la combinaison de leur solitude va leur permettre de combler le vide de leur vie, ou les condamner à s’enfoncer dans des mensonges qui ne peuvent que mal se terminer.

Quant aux illustrations, j’ai apprécié leur rondeur, l’expressivité des visages, et le découpage clair mettant naturellement en avant l’important et occultant le superflu.

En conclusion, si j’ai lu Polaris Will Never be Gone par simple curiosité, je reconnais avoir apprécié les thèmes abordés et la manière dont Eke Shimamizu déploie l’histoire de ses personnages pour les conduire vers une association inattendue, suscitant autant d’espoir que d’inquiétude chez les lecteurs. Entre l’obsession malsaine d’une lycéenne incapable de faire son travail de deuil et la solitude d’un lycéen qui ne trouve aucun moteur pour avancer dans la vie, le mangaka a su créer une ambiance à la fois lancinante et exaltée, dont le contraste fonctionne très bien. À cela, s’ajoute une petite aura de mystère rendant la lecture prenante et l’envie de lire la suite bien présente.

23 réflexions sur “Polaris Will Never be Gone, tome 1 d’Eke Shimamizu

    • Je n’ai pas trouvé cela anxiogène, mais j’ai plutôt trouvé que le mangaka montrait le malsain de la situation tout en nous poussant à nous interroger sur les débordements de l’héroïne. Psychologiquement, si on ne s’arrête pas à une lecture froide de l’histoire, c’est plutôt fin.

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  2. La couverture m’a rendu curieuse de lire ton avis et ton avis me rend curieuse de lire au moins ce premier tome. Les thèmes et les personnages ont l’air de sortir un peu de l’ordinaire et si le tout est bouclé en trois volumes, ça me tente bien aussi. J’espère que la suite sera à la hauteur de tes attentes 😉

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  3. C’est vrai que c’est rassurant de commencer une série dont on sait qu’elle sera courte. Cette ambivalence que tu décris dans ton ressenti autour des actions et conséquences de l’héroïne me pousse à penser que Shimamizu a su trouver un équilibre dans son écriture. Ça me donne envie de découvrir cette série aussi.

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