Djarabane, tome 1 : Au petit marché des amours perdues, Adjim Danngar

Couverture Djarabane, tome 1 : Au petit marché des amours perdues

Je remercie les éditions Delcourt et Babelio pour m’avoir envoyé Djarabane, tome 1 : Au petit marché des amours perdues de Adjim Danngar en échange de mon avis.

Sarh, 1984. Kandji, sept ans, s’émerveille devant une peinture accrochée au mur du salon. Ébloui par la scène et les couleurs du paysage, il se fait la promesse de devenir peintre alors que le Tchad traverse une des périodes les plus violentes de son histoire. Djarabane, « Que faire » en langue Sara, est une réflexion sur l’exil et la place des rêves d’enfants dans un contexte politique précaire.

Delcourt (25 janvier 2023) – 23,95€ – 192 pages

 

AVIS

N’ayant jamais rien lu se déroulant au Tchad, j’étais curieuse de découvrir cette BD qui m’a permis de m’immerger dans un pays que je ne connaissais que très peu, à un moment trouble de son histoire.

Nous sommes, en effet, en 1984 et le Tchad, en conflit avec la Lybie pour le contrôle de la bande d’Aozou, est soutenu par la France dont nous voyons la présence militaire. Une présence pas forcément appréciée notamment par un homme, Zarathoustra, qui s’évertue, jour après jour, à se mettre devant les chars français gênant leur passage. Sa motivation reste obscure, mais les mesures de coercition que son comportement engendre laissent les lecteurs songeurs quant à la différence entre soutien militaire et menace militaire…

En plus du contexte géopolitique compliqué, on découvre la situation économique délicate du pays, faisant de la débrouillardise et des petits commerces en tout genre un moyen de survie. Et puis, il y a le président, surnommé Hache-Hache, et « ses fous » qui s’invitent dans le foyer de notre jeune protagoniste, même si en tant que témoin extérieur ne connaissant pas vraiment l’histoire de ce pays, je n’ai pas vraiment saisi l’ampleur et la nature de la menace qu’ils représentent. Je dois d’ailleurs avouer que j’ai été un peu frustrée que le contexte politique et militaire ne soit pas plus développé, mais j’ai apprécié que Adjim Danngar choisisse de nous proposer un récit à portée d’enfant plutôt qu’un témoignage historique. Je dois, en outre, reconnaître que si on n’entre pas dans les détails, l’auteur suggère avec beaucoup de subtilité ce climat d’angoisse qui monte petit à petit chez les adultes.

Je dis chez les adultes, car notre protagoniste, Kandji, sept ans, semble lui être inconscient de ce qui se passe autour de lui. J’ai presque eu l’impression qu’il vivait une existence en marge de celle de ses parents. Une vie pleine de vitalité dans laquelle il est non pas question d’un potentiel déménagement dans une « ville de la mort », mais d’une opération commando pour libérer un singe tristement enfermé. Une idée devenue quasi obsessionnelle, qui le poussera à faire usage de ses dents mais aussi à nous prouver toute la force de sa détermination.

Ce singe sert, d’une certaine manière, de fil conducteur en même temps qu’un tableau, rare point de couleur dans cette épaisse BD en noir et blanc. Ce tableau attire notre regard, comme il aimante celui de Kandji, faisant naître chez lui des rêves étranges, des fantasmagories représentées à l’aide de traits épais et insistants dans des scènes déstabilisantes et presque inquiétantes. On devine en elles une portée symbolique forte, formant une sorte de pont entre l’enfance et son insouciance et le monde plus sombre et âpre des adultes. Un monde dans lequel Kandji est plus ou moins forcé de plonger, du moins en partie, quand il quitte son village pour la capitale…

Grâce à une ellipse temporelle, on retrouve notre jeune héros en 1990 dans un autre environnement, mais avec toujours cet amour de l’art en arrière-plan. Il met ainsi son talent d’artiste au service des autres en leur proposant ses trompe-l’œil. Des œuvres qui semblent être appréciées, mais pas vraiment rémunérées à leur juste prix. Dans sa nouvelle vie, le jeune homme va grandir, connaître le chagrin, des bouleversements, et se lancer dans une quête qui le conduira à renouer avec une figure de son passé. Je dois d’ailleurs dire que ce point soulève un certain nombre de questions et me donne envie de lire la suite, tout comme l’attachement que l’on développe pour Kandji.

Têtu, libre d’esprit et déterminé, cet enfant, que l’on retrouve adolescent, nous plonge avec beaucoup de naturel et une certaine légèreté dans sa vie, ses aspirations et cette envie de s’exprimer à travers son art. Bien que moins présente, j’ai également apprécié sa mère qui le défend même quand il dépasse les bornes, ce qui explique que l’une des coutumes du pays m’a profondément marquée et révoltée. Une sorte de double punition quand vient vous frapper d’adversité et que vous êtes une femme et/ou un homme pas encore adulte ! Mais comme son fils, Rébé possède une belle force de caractère qui lui permettra d’aller de l’avant…

Le contexte économique et géopolitique est difficile, mais il se dégage néanmoins une belle vitalité entre les pages de cette BD, que ce soit grâce au mouvement que l’auteur sait parfaitement insuffler à ses scènes, aux décors assez détaillés pour nous offrir un réel sentiment d’immersion, au caractère dynamique du protagoniste et de sa battante de mère, aux allées et venues des chiens errants et à tous ces petits détails qui forment le sel du quotidien. Alors si je n’ai pas été éblouie par l’ensemble, j’ai trouvé les illustrations intéressantes, appréciant la manière dont elles associent simplicité des traits des personnages et minutie des détails.

En conclusion, Djarabane, tome 1 : Au petit marché des amours perdues de Adjim Danngar fut une lecture immersive et captivante qui m’a permis, à travers le regard d’un enfant, de découvrir un peu mieux le Tchad du milieu des années 80 et du début des années 90. Mais ce fut surtout une aventure humaine touchante dans laquelle transparaît toute la vitalité d’un enfant puis d’un ado qui se rêve artiste ! Une BD épaisse dont le parti pris du noir et blanc fonctionne très bien et dont les seules pointes de couleurs suffisent pour guider le regard du protagoniste et des lecteurs vers le même point de vie.  Amateurs de récits humains, cette BD devrait vous plaire d’autant qu’elle mêle avec une certaine subtilité Histoire et destin individuel.

15 réflexions sur “Djarabane, tome 1 : Au petit marché des amours perdues, Adjim Danngar

  1. Je comprends ta curiosité quant au cadre de cette bd que je partage. Le héros et son rêve avaient l’air parfait pour t’accompagner au cours de cette aventure difficile.
    Ne me reste plus qu’à voir à quoi ressemblent les dessins pour achever ou pas de me convaincre ^^

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