Mousson froide, Dominique Sylvain

Mousson froide par Sylvain

Séoul, 1997. Un gangster accomplit une vengeance sanglante.
Montréal, 2022. Mark, un flic d’origine coréenne, Jade et Jindo, son labrador à l’odorat affûté, spécialisé dans la détection de mémoires électroniques, enquêtent sur un réseau pédopornographique.
Alors que les premiers coupables de cette sombre affaire tombent, un mystérieux tueur ensanglante l’hiver montréalais. L’homme, insaisissable, redoutable, a croupi plus de deux décennies dans une prison coréenne. À peine libéré, il monte dans un avion, destination le Québec, déterminé à prendre la revanche qu’il fomente depuis des années.
Dans la ville enneigée, l’assassin poursuit son passé…

Mousson froide est un roman peuplé de personnages complexes, attachants souvent, terrifiants parfois. Leurs destins se croisent, les points de vue s’entremêlent pour tisser une intrigue captivante.

Robert Laffont (11 mars 2021) – 384 pages – 21€

AVIS

Mousson froide est le premier roman de Dominique Sylvain que je lis et je dois reconnaître avoir particulièrement accroché à son style aussi plaisant qu’immersif. Je n’ai jamais eu la chance de visiter Montréal, mais j’ai un peu eu la sensation d’avoir troqué le confort de mon canapé pour une brève et riche immersion dans les rues de la plus importante ville du Québec. Mais en dehors du dépaysement, la force de ce roman est la manière dont Dominique Sylvain arrive à décortiquer avec méticulosité et humanité les tourments de ses personnages, nous faisant ressentir pleinement leurs doutes, leurs douleurs, leurs émotions et leurs desseins, parfois très sombres.

J’ai ainsi été horrifiée par Park Yong-hwan, un homme qui n’en porte que le nom. Un peu comme un prélude à ses futures exactions, on le découvre en assassin de chien, avant de le voir fondre sur sa fille devant les yeux choqués et incrédules de son fils. Un infanticide qui nous apparaît presque logique pour cet homme froid, méprisant et méprisable, calculateur, avide et sanguinaire que vingt-cinq ans de peine carcérale n’auront même pas réussi à faire changer. Car si la société coréenne, dans laquelle il ne se reconnaît plus, lui offre la chance de repartir de zéro, notre homme est, quant à lui, bien décidé à traquer et à enfin se débarrasser de sa femme et de son fils… Si la vengeance est un plat qui se mange froid, Park Yong-hwan va le leur servir glacé !

Après le meurtre de sa fille, Min-young s’est réfugiée avec son fils à Montréal, lui offrant un nouveau départ et la possibilité de se construire un avenir loin de Séoul et de son monstre de père. Changement d’identité, changement de pays, changement de culture, changement de vie… Mais cela ne suffit nullement à effacer les traumatismes du passé ! Min-young a pris l’habitude de se perdre dans les séries télé, notamment coréennes, autant par nostalgie de son pays que besoin de ne pas penser, et Mark se noie dans son travail de policier et dans la musique, une passion devenue exutoire. Deux stratégies d’évitement très différentes l’une de l’autre mais qui présentent chacune ses failles.

Cela se ressent d’ailleurs pleinement avec Mark que l’on pourrait décrire comme le portrait type du policier obsédé par sa carrière, autodestructeur et torturé. Très doué dans ce qu’il fait, cela ne l’empêche pas de jouer régulièrement avec les limites et d’entretenir des rapports quelque peu malsains avec un tueur en série. Systématiquement sur le fil du rasoir, il m’a parfois fait penser à une bombe humaine prête à exploser… Mais il est vrai qu’avec un père comme le sien, il est difficile d’être serein et optimiste quant à l’avenir.

Dans ce brouillard, Mark pourra heureusement compter sur un duo auquel on s’attache fort vite : Jade et Jindo, son labrador détecteur de mémoires électroniques sur lequel elle veille avec beaucoup d’amour et de respect. Les trois sont amenés à collaborer dans le cadre de leur travail, mais les liens qui les unissent sont bien plus forts et profonds. Jade semble, en effet, la seule à supporter Mark et son côté borderline. Une empathie bienveillante teintée de compréhension qui s’explique probablement par les épreuves personnelles que la jeune femme a également dû traverser… Quant à Jindo, il adore tout simplement cet humain qui inspire la confiance et qui, cerise sur le gâteau, maîtrise à la perfection l’art de la grattouille.

La personnalité torturée de Mark et sa relation avec Jade ne brillent pas forcément pour leur originalité, mais là où l’autrice a su se différencier, c’est dans l’introduction d’un point de vue qui ne manque pas de chien, celui de Jindo ! En plus de suivre Jade, Mark, sa mère et son tueur de père, on suit donc les pensées de ce chien des plus attachants. Dépourvu de toutes ces barrières que l’on tend à se mettre soi-même, il nous apparaît terriblement perspicace quant aux rapports humains, d’autant qu’il peut s’appuyer sur son odorat infaillible pour comprendre ce que les cœurs humains ont parfois peur de s’avouer. Véritable coup de cœur, ce personnage original séduit par sa simplicité, sa fidélité, sa loyauté et son amour à toute épreuve pour son humaine et ses humains préférés. Jindo nous offre également une plongée fascinante dans les arcanes du travail d’une brigade cynophile, côté chien.

Le travail de policier est gratifiant, autant pour les deux que les quatre pattes, mais il se révèle également éprouvant, a fortiori quand il conduit, comme ici, nos enquêteurs à côtoyer la perversion humaine sous ses formes les plus ignobles. Mark, Jade, Jindo et leurs collègues sont ainsi aux prises avec un réseau de pédophilie tout en devant faire face à des cadavres qui semblent s’amonceler. Mais je rassure les âmes sensibles, l’autrice n’entre pas dans les détails sordides, ce qui n’empêche pas de saisir le côté poisseux entourant des pratiques ignobles.

Le roman se lit tout seul, mais force est de reconnaître qu’il devient carrément addictif dans sa dernière ligne droite : les événements s’accélèrent, les doutes viennent compliquer les choses, des secrets sont dévoilés et les personnages poussés dans leurs retranchements. Je dois vous avouer avoir pesté contre certains, eu mal au cœur pour d’autres et croisé les doigts pour que les plans machiavéliques d’un diable à forme humaine soient déjoués avant qu’il ne soit trop tard. La tension monte crescendo et nous laisse dans l’expectative d’une rencontre que l’on espère explosive et définitive… La fin, quant à elle, sied à merveille à une intrigue qui oscille entre ombre et lumière, entre drame et renaissance.

En conclusion, vengeance, corruption, pédophilie, politique d’immigration… forment le cœur d’un roman intense et noir, adouci par l’humanité et les réflexions pleines de pertinence d’un chien parfois bien plus humain que les hommes. Prenant, bien écrit et terriblement immersif, voici un roman choral qui mêle avec efficacité drames personnels, problématiques sociétales et enquêtes policières.

Quand les fantômes du passé se mêlent aux cadavres du présent…

Je remercie Babelio et les éditions Robert Laffont de m’avoir envoyé ce roman en échange de mon avis.

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28 réflexions sur “Mousson froide, Dominique Sylvain

    • J’ai trouvé sa plume vraiment agréable et tu sais comme je peux être assez tatillonne avec ce point…
      Ravie de t’avoir donné envie que ce soit pour le rythme ou les personnages particulièrement bien travaillés 🙂

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  1. Tout à fait le genre de polar que j’apprécie avec des personnages à la psychologie complexe et hantés par des fantômes du passé. L’intrigue a également l’air prenante. Je note !

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